AZERBAÏDJAN-ARMÉNIE : LA GUERRE DES MEDIAS

Etre journaliste n’est pas un métier facile. Il faut trier le vrai du faux, ne pas se laisser manoeuvrer. vérifier, recouper. Il faut savoir rester sourd à la vox populi, nager à contre-courant. S’en tenir aux faits. Informer, tout simplement.

Etre lecteur ou spectateur n’est pas un « métier » facile. Dans le tsunami des medias et des réseaux sociaux, qui charrie des torrents d’informations où la quantité l’emporte sur la qualité, il doit savoir trier le vrai du faux, rester sourd à ceux qui crient le plus fort, nager à contre-évidences. S’en tenir aux faits. S’informer, tout simplement.

Le conflit du Haut Karabagh est exemplaire à ce propos.
Qui a raison, qui a tort ? Alors que les obus ont déchiré la trêve à peine signée samedi, qui a tiré le premier ? Qui est l’agresseur, qui est la victime ? Les victimes, on les connaît : ce sont ceux qui ont perdu leur maison, l’un des leurs, et qui, pourtant, n’avaient rien demandé. Comme toujours.
Mais le public a besoin de coupables et les medias sont là pour livrer une réponse. Pas toujours des faits.

Alors, voici les faits…

Depuis le début du conflit, les forces azerbaïdjanaises ont pris pour cible les forces de l’armée arménienne qui soutiennent les indépendantistes arméniens du Haut-Karabagh et défendent les territoires annexées autour de celui-ci. En revanche, depuis le début des hostilités, c’est à partir de la république d’Arménie qu’ont été lancés les tirs, non pas seulement contre les forces armées azéries, mais sur des villages dépourvus d’installations militaires du centre de l’Azerbaïdjan. Dès la déclaration du cessez-le-feu, les régions de Tartar, d’Agdam, puis d’Hadrut et Jabrayil ont été visées. Et le 11 octobre, la ville de Ganja, située à 40 Km du Karabagh a été l’objet d’un pilonnage qui a détruit des immeubles d’habitation et des bâtiments civils.

Si les medias étrangers ont largement relayé ces incidents (voir video BBC ci-après), on se demande pourquoi il est si difficile d’en faire autant ici. La moindre tentative d’information à ce sujet vaut à son auteur un vomissement de tweets assassins, et parfois menaçants, l’accusant d’être à la solde de la propagande azérie.
Sur les plateaux TV, bien rares sont les responsables azéris invités. Dimanche, pendant l’émission C politique sur la 5, on a pu voir, devant un André Manoukian assez mal à l’aise d’ailleurs, une journaliste reporter esquisser timidement, à mi-voix, l’évocation du bombardement de Ganja .

Etre journaliste, c’est faire taire l’émotion et ne voir que les faits. Et dans cette affaire, il semble qu’il reste bien peu de place aux faits. Chaque jour, les arméniens de France appellent au soutien à leurs frères causasiens, et fustigent ces azéris dont ne sait pas grand chose, sinon qu’ils sont les amis des turcs honnis. Ils trouvent un écho dans la presse, dans le milieu politique, sur les réseaux sociaux. Comment le leur reprocher d’ailleurs, eux qui furent nourris, de génération en génération, de cette Histoire fondatrice d’un exode et de l’espoir d’un retour à une terre promise, ciment de leur identité ? Et puis, la France l’aime bien, ses arméniens. Ils lui ont donné tant de merveilleux artistes, de sportifs, d’hommes d’Etat…

En réalité, des éléments qui relèvent plus de la psychologie de masse que de la politique internationale sont venus s’inviter dans la perception que nous avons de ce conflit. L’ambiance de nouvelle croisade que la France vit actuellement à l’encontre de ses musulmans, la méfiance des français à l’égard du gouvernement d’Erdogan, allié de l’Azerbaïdjan, ajouté à la cohésion des 700 000 membres de la communauté arménienne française, et la puissance du CDCA (Comité de Défense de la Cause Arménienne) étouffent les voix qui tentent d’expliquer, sans passion, ce qui se passe réellement en Transcaucasie.

Qui a raison, qui a tort ? Ce n’est pas le problème du journaliste. Pour lui, seuls les faits comptent. A chacun ensuite de manifester l’émotion qui est la sienne.

Abdeljallil Asmar


Immeuble d’habitation détruit à Ganja

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