SCHIAPPA… LA RÉPUBLIQUE EST DANS DE BEAUX DRAPS !

« Jusqu’au bout avec JJSS… Y va quand même pas se déloquer, JJSS ? Dis-donc, ça serait chouette comme argument électoral ! ». En 1975, Guy Bedos brocardait l’interview du président du Parti radical Jean-Jacques Servan-Schreiber dans le magazine Lui. Un précédent ? Pas tout à fait, car Servan-Schreiber n’était pas encore ministre et ne portait pas de slip kangourou.

La prestation de Marlène Schiappa dans Playboy a vraiment du mal à passer, en particulier au sein même de la macronie. Critiquée par Isabelle Rome, sa collègue chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes au sein du gouvernement, elle vient de se voir sommée par la première ministre Elisabeth Borne d’annuler une interview à CNN prévue lors de son actuel voyage à New York.

Fortement contestée dans le milieu féministe qui lui reproche d’être plus présente dans les medias que sur le front du sexisme, et de ne s’être pas jointe aux voix condamnant les violences policières dirigées contre les femmes, Marlène Schiappa, la protégée de Gérald Darmanin, est souvent accusée de servir l’esprit anti-musulman de son mentor.

C’est d’ailleurs dans le cadre de la croisade contre le « séparatisme » qu’a éclaté un nouveau scandale qui éclabousse, au delà de la ministre, l’ensemble du gouvernement.

Pour « Marianne », Marlène touche le fonds

C’est, ironie su sort, l’hebdomadaire « Marianne » qui révélé l’affaire du « Fonds Marianne ».

Le «Fonds Marianne pour la République» a vu le jour en avril 2021, après l’assassinat de Samuel Paty. Dans un réflexe habituel de récupération de l’actualité dramatique, Gerald Darmanin et Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, créent un fonds doté de 2,5 millions d’euros pour «financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes», selon les propres termes de la ministre. L’objectif affiché est, toujours selon la ministre de «mieux lutter contre les contenus terroristes», notamment sur Internet et les réseaux sociaux, et «démentir les fake news qui font le lit de l’islamisme radical».

C’est le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui a été chargé de sélectionner les associations bénéficiaires. Le CIPDR est dirigé par Christian Gravel, un proche de Manuel Valls, nommé à ce poste par Marlène Schiappa elle-même. Or cette sélection a été particulièrement rapide. Dès juin 2021, le CIPDR annonçait que 17 dossiers étaient retenus pour un montant global de 2,017 millions d’euros au total.

La principale bénéficiaire, qui aurait touché  355 000 euros, est l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). Ces 355 000 euros auraient servi d’une part à créer quelques vidéos qui n’ont été vues que par une soixantaine de personne, et d’autre part à rémunérer deux des dirigeants de l’association. L’un d’eux n’est autre que Mohamed Sifaoui, polémiste algérien connu pour ses positions islamophobes, et également proche de Christian Gravel. Sifaoui aurait ainsi touché un salaire de 120 000 euros.

L’étrange Monsieur Sifaoui

Curieux personnage que Mohamed Sifaoui. Écumant les plateaux de télévision en se présentant comme un « expert en radicalisation », cet ancien journaliste algérien a tissé des liens très étroits avec la droite islamophobe française, ravie de pouvoir compter, après « l’imam » Chalghoumi, sur le soutien d’une personnalité arabe à la théorie « anti-séparatiste » du gouvernement.

Proche de Marlène Schiappa, de Bernard-Henri Lévy, d’Alain Finkelkraut, de Caroline Fourest, régulièrement invité par le CRIF, Sifaoui s’affiche comme le pourfendeur de « l’islamisme ». Il a publié de nombreux ouvrages sur le « danger islamiste », et contre le pouvoir algérien corrompu. Il se dit même menacé à la fois par les « islamistes » et les généraux algériens.

Sauf qu’il est fortement soupçonné d’être un proche des services de renseignements algériens. Les journaux dans lequel il écrivait, « Le Soir d’Algérie » ou « L’Authentique », sont d’ailleurs notoirement proches des services algériens.
Selon Hichem Aboud, journaliste algérien réfugié en France et auteur de « La mafia des généraux »,« Sifaoui était fasciné par ce monde mystérieux du renseignement et de l’espionnage (…) A la faveur de ses activités journalistiques il pensait trouver la brèche pour se rapprocher des services de renseignements militaires. » Il est même venu témoigner en faveur du général Khaled Nezzar, un de ces gradés responsables d’une répression sanglante, lors d’un procès qui s’est tenu à  Paris en 2002. 

Mohamed Sifaoui s’est notamment fait connaître dans la sphère médiatique par un « reportage » de 2003 intitulé « J’ai infiltré une cellule au cœur de Paris », où il filme « en caméra cachée » une réunion secrète d’islamistes radicaux, le visage flouté, dans une semi-pénombre. On entend les « terroristes » lancer des phrases sans équivoque : « Les juifs sont des porcs, des adorateurs de singes. », « Les infidèles, c’est pire que des animaux. Alors franchement les tuer, c’est pas bien grave »,« On est quand même fiers d’être terroristes.» Un chef d’oeuvre de manipulation, selon les spécialistes des medias.

Alain Gresh, se demande, dans le Monde Diplomatique, comment les grosses ficelles d’une telle fable ont pu échapper au contrôle des professionnels de l’information : « Tintin a trouvé un rival en la personne de Mohammed Sifaoui, qui nous entraîne au pays des islamistes. Durant les débats, à l’automne 2002, Sifaoui reconnaît dans le public un copain de lycée, Karim Bourti. Résumé des retrouvailles : salut, salut, qu’est-ce que tu deviens ? Moi, je suis terroriste, mais surtout ne le dis à personne… N’écoutant que son courage et faisant semblant d’épouser leur cause, notre enquêteur se joint aux « terroristes .»I

nvité sur France 2 en novembre 2015 suite aux attentats de Paris, Sifaoui s’en était pris au voile de Latifa ibn Ziaten, la mère d’un des militaires tués par Merah en 2012 : « Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils, et il y en a beaucoup, des centaines de personnes, qu’on va la faire sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte antiterroriste », dénonçant « cette incohérence qui veut qu’on dise à des jeunes filles que le voile salit la féminité et qu’on leur introduise une personne voilée qui va leur enseigner les valeurs de la République »

Comparant le cheich arabe à une serpillère, le polémiste s’en prend également aux autres « étrangers » , notamment les chinois, « communautaristes » et « mangeurs de chats », ou les Portugais : « Il faut avouer que, contrairement aux salafistes, les Portugaises se sont bien intégrées en France. Très vite, elles ont appris à se raser. »

Pourfendeur de l’Arabie saoudite, il s’était fait remarquer en 2019 par une intervention en plein milieu de la « Conférence pour le paix » organisée à Paris avec la participation de la Ligue Islamique Mondiale, où il traitait le Prince héritier saoudien Mohammad ben Salman d’assassin… avant de devenir le conseiller en communication de la Grande Mosquée de Paris, dont le recteur Chems-eddine-Hafiz vient d’être, cette année, l’invité privilégié de la Conférence organisée par la LIM à Londres !

Dans un communiqué de presse diffusé mercredi 12 avril, Mohamed Sifaoui s’est défendu de toute irrégularité dans la gestion des subventions octroyées par l’Étant, estimant avoir « touché un salaire en contrepartie d’un travail bel et bien effectué ». Sauf que l’on ne retrouve aucune trace de ce « travail » et que, accusée d’avoir ainsi détourné l’argent de l’État, l’USEPPM, par la voix de Maître Cyril Fergon, avocat de la nouvelle direction, met en cause Mohamed Sifaoui et son collègue, déclarant notamment que les statuts de l’association prévoient que la fonction de dirigeant est exclusivement bénévole.

Une association fantôme pour contourner la loi électorale

L’association de Mohamed Sifaoui n’est pas la seule à avoir reçu la manne du fonds Marianne. Une autre structure baptisée «Reconstruire le commun» a touché plus de 300 000 euros alors qu’elle venait d’être créée et n’avait aucune activité connue. Mieux d’après les comptes de l’association, celle-ci avait aussi touché une subvention directe de 29 250 euros du CIPDR dès 2020… pour l’aider à se constituer.

Comment une association à peine créée, sans référence, dont le site internet n’est pas encore actif, a-t-elle pu être choisie pour recevoir une subvention aussi importante ?

L’explication se trouve peut-être dans les contenus diffusés par l’association. Sous couvert de lutte contre le séparatisme, l’association a réalisé et diffusé une série de vidéos à contenu politique à l’encontre des opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives. Ceci en contradiction avec le code électoral.

Sur l’une de vidéos diffusée par « Reconstruire le commun », on voit notamment un « débat » entre jeunes, qui met en cause Anne Hidalgo dans les problèmes de la circulation et de la propreté de Paris. Pas grand rapport avec la lutte contre le « séparatisme ».

Dans l’émission « À la bonne franquette » diffusée le 2 juin 2022, soit dix jours avant les élections législatives, l’un des intervenants affirme que parmi « les gens qui gravitent autour » de Jean-Luc Mélenchon, on retrouve « les décolonialistes, le parti des indigènes de la République », expliquant que « Toute cette sphère-là, qui est extrémiste, très dangereuse, il ne s’en distingue pas, limite il va reprendre leur thèse par subtils passages ». Une deuxième chroniqueuse abonde : « Mélenchon, en 2015, après Charlie, c’était une vraie personne de gauche à ce moment-là. Et puis en 2019, il est allé défiler avec certains islamistes. Le retournement de veste est quand même assez choquant. » Une troisième rebondit : « Que ce soit Mélenchon ou Le Pen, ils n’ont pas totalement rompu ce lien idéologique avec des extrêmes d’antan, en fait. […] Je trouve ça anormal qu’un Mélenchon puisse citer comme il veut Trotski qui est quand même le plus grand inspirateur des camps nazis. »

L’enquête menée par Mediapart révèle d’autres points d’ombre dans la travail de l’association. Le quotidien en ligne a notamment découvert que « Reconstruire le commun » avait acheté de la publicité sur les réseaux sociaux au début de l’année 2022. Or, comme le rappelle la CNCCFP, le fait de recourir à des publicités payantes au service d’un candidat est proscrit par le code électoral. Qui plus est quand l’argent provient de subventions publiques.

Les membres de l’association ont réfuté, auprès de Médiapart, tout esprit partisan dans leur démarche. Mais le journal rapporte que l’un des posts sponsorisés sur Instagram pour atteindre une audience estimée à un million d’utilisateurs disait le 27 février 2022 : « La gauche en déclin ? Georges Marchais défendait le travailleur et l’ouvrier français. Aujourd’hui, la gauche a abandonné cet électorat-là qui s’est malheureusement réfugié dans les bras de Marine Le Pen. » « Un contenu », indiquent les journalistes de Mediapart Antton Rouget et Ellen Salvi ,« dont on ne voit pas du tout ce qu’il vient faire dans une campagne pour la laïcité. Mais dont on comprend trop bien, en revanche, à quoi il peut servir dans une campagne électorale. »

Bizarrement, « Reconstruire le commun » ne produit plus rien depuis.. Elle n’aura donc été active que pendant les campagnes électorales de 2022.

Du secret à l’enquête

Le président de la commission des Finances du Sénat, le socialiste Claude Raynal, a demandé au gouvernement de lui fournir au plus tard ce mercredi 19 avril l’ensemble des documents concernant le «Fonds Marianne». Son homologue de l’Assemblée nationale Eric Coquerel (LFI) fera la même demande.

La maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé saisir la procureure de la République. « Je vais porter plainte, cela ne fait aucun doute », a affirmé l’ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2022. « Nous regardons toutes les implications. Si les faits sont avérés, il y a un dévoiement évident du fonds Marianne. Les productions n’ont rien à voir avec les questions de laïcité. Venir me chercher sur les voies sur berges et donner une tribune à #SaccageParis, c’est hallucinant ! Si tout cela est confirmé, cela renvoie à des méthodes de barbouzes. Qui plus est depuis Beauvau».

 Sandrine Rousseau, attaquée nommément dans une vidéo diffusée en pleine campagne pour les législatives prévoit également de saisir la justice : « Je prends cette affaire très au sérieux, affirme la députée écologiste à Mediapart. Qu’une ministre en exercice se permette de faire ça, c’est inadmissible. Ils nous font des leçons de morale et de démocratie en permanence et ils utilisent des fonds publics à des fins politiques ? Ils vont devoir rendre des comptes. » 

Marlène Schiappa se défend tant bien que mal en protestant qu’elle n’a pas pris part à la sélection, ce qu’on a quelque difficulté à croire, étant donné les liens qui existent entre la ministre et le directeur du CIPDR. Elle affirme que «parler de détournement d’objet ou de financement de campagne» était «faux et mensonger», ajoutant qu’une enquête administrative de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) «permettra de faire toute la lumière et de déterminer les conditions de fonctionnement et d’attribution de ces subventions». Christian Gravel lui-même peine à cacher son embarras devant la révélation des bénéficiaires des fonds, dont les noms avaient jusque là été tenus secrets « pour des raisons de sécurité », et qui voit étaler au grand jour des pratiques peu conforme à la déontologie. « Nous nous sommes rendu compte que certains contenus avaient des références à caractère politique », s’est-il excusé.

LFI, dont le chef de file Jean-Luc Mélenchon a été lui-même visé directement par « Reconstruire le commun », a également décidé de réagir. « On apprend que Marlène Schiappa a donné 350 000 euros de subventions publiques à une association pour payer des campagnes contre les opposants à Macron en pleine campagne électorale. Allo la justice ? », a tweeté le député Manuel Bompard. Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, a parlé de « honte », « De l’argent public qui a financé de la propagande contre la gauche pendant les élections législatives de 2022. Le tout sur un fonds créé après l’assassinat de Samuel Paty. Immonde » s’est indigné Louis Boyard. François Ruffin, quant à lui, s’interroge : « Après Playboy, dans quel magazine Marlène Schiappa fera-t-elle diversion ? »

Au Sénat, plusieurs élus de gauche ont réclamé des explications rapides. « La première étape, c’est que Marlène Schiappa réponde aux faits », indique à Médiapart Bernard Jomier, sénateur écologiste apparenté PS, à Mediapart. « Au cas où ces explications ne seraient pas suffisantes et fournies dans des délais courts, nous préparons une saisie du président du Sénat afin que l’institution déclenche une enquête parlementaire. » Pour Bernard Jomier, cette affaire, qui survient en pleine remise en cause, par Gérald Darmanin, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), est « particulièrement cynique ». « Apprendre que le fonds créé après l’assassinat de Samuel Paty, qui avait déclenché une émotion nationale, a pu être détourné de cette façon, c’est écœurant,. Si les faits sont avérés, la première concernée doit démissionner. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, mais ce serait la réaction normale dans toute démocratie vivante. » conclut-il.

Jean-Louis Bianco, ancien président de feu l’observatoire de la laïcité, a de quoi être particulièrement indigné : « Ainsi, des trolls anti-laïques et politiques ont reçu environ 700 000 euros du contribuable via un fonds créé en instrumentalisant le terrible assassinat de Samuel Paty. Au même moment, l’Observatoire de la laïcité, reconnu de tous les praticiens de la laïcité, était supprimé parce qu’il rappelait le droit ». On rappelle que, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi « séparatisme », Marlène Schiappa avait lancé un cycle de consultations avec des « experts », comme Mohamed Sifaoui, Gilles Clavreul, le cofondateur du Printemps républicain, ou Caroline Fourest. Ensemble, ils avaient lancé lancé l’opération anti-Observatoire de la laïcité initiée précédemment par Manuel Valls.

Mais c’est probablement la famille de Samuel Paty qui est blessée le plus profondément par ces révélations. «Particulièrement heurtée» de cette instrumentalisation du drame qui l’affectée, elle déclare : «le nom de Samuel Paty ne peut en aucun cas et en aucune manière être l’instrument de tels agissements».

Comment le gouvernement va-t-il se sortir de cette nouvelle « casserole » ? Il trouvera sûrement la solution. Les casseroles, le Président de la République en a l’habitude…

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