La famille d’un premier ministre anglais photographiée en sari le jour de son élection ? Ne rêvons pas, ce n’est pas en France que cela a eu lieu, mais à Londres, lors de la nomination de Rishi Sunak à Downing Street.
Gérald Darmanin, reprenant dans son livre – profession de foi « Le séparatisme islamiste », le passage d’un ouvrage de Gilles Kepel consacré à la Seine-Saint-Denis, fustige « l’ubiquité des enseignes halal, la prégnance du port du voile, la généralisation du ramadan, marqueurs de la présence importante d’une population de confession musulmane ». Plus tard, il se dira troublé par la présence de rayons halal et casher dans les supermarchés. On est bien loin de la laïcité inspirée par Aristide Briand et la loi de 1905.
Le « monstre » s’est échappé
Depuis qu’un président de la République a eu l’idée saugrenue de vouloir définir une identité française, laissant sans surveillance la cage du monstre suprémaciste, celui-ci, grâce à la banalisation progressive des thèses d’extrême-droite qui a fait sauter les derniers verrous de l’humanisme, a fini par s’échapper, laissant libre cours à ses féroces instincts.
L’identité nationale, quelle aberration ! Imaginons que l’on demande à chacun d’entre nous de se définir, une fois pour toutes, et que cette définition devienne aussi permanente qu’une empreinte digitale. Absurde. Nous changeons, nous évoluons, et c’est tant mieux. Ce qui est vrai pour l’individu l’est aussi pour la société. La France de l’inquisition n’est pas celle de la révolution, qui n’est pas celle de la Libération, ni celle de mai 68, encore moins celle d’aujourd’hui.
Le résultat, il fallait s’y attendre. Lorsque la question n’a pas de solution, on cherche une issue dans le raisonnement apophatique. Autrement dit, la définition par opposition. Puisque notre complexité nous empêche de nous décrire à partir de ce que nous sommes, définissons-nous par ce que nous ne sommes pas. L’apparence physique, la langue, l’accent, la tenue vestimentaire, la culture deviennent des critères simple, voire simplistes, pour caractériser l’autre, faciliter distinction du « nous » et du « eux ». En allant plus loin, c’est en excluant de notre société ceux qui nous paraissent « dissemblables » que nous pouvons nous reconnaître en tant que « semblables ». C’est ce à quoi nous invitait à prendre garde le philosophe René Girard à travers sa théorie du « bouc émissaire », dont la déclinaison moderne est la stigmatisation, la discrimination, l’idée de « l’ennemi intérieur », du « danger séparatiste », du « racisme d’État ». Des notions que l’on pensait obsolètes après la disparition de l’Apartheid ou des mouvements suprémacistes du temps du Ku Klux Klan, mais qui ressurgissent aujourd’hui dans une grande partie des sociétés européennes, dont la nôtre, lesquelles tentent d’en couvrir le visage monstrueux par le masque au visage d’ange de la pureté civilisationnelle ou de la laïcité.
Ici, depuis une quinzaine d’années, les chefs d’État successifs ont cru, en légitimisant en sourdine des propos extrémistes, puiser les voix nécessaires à leur ré-élection dans le réservoir de cette France, brocardée par Coluche, pas vraiment raciste, mais un peu beauf, qui aime taquiner le goujon et plomber l’alouette, mais qui peut aisément, hélas, passer du « On est chez nous » au « Rentrez chez vous ».
Comment s’étonner alors que le Rassemblement National ait si bien tiré son épingle du jeu, malgré les piètres prestations de sa porte-parole. Comment s’étonner surtout qu’un député lance ouvertement des propos racistes à l’encontre de l’un de ses collègues ? Cette fois, l’insulte a fait réagir le Parlement. Pour combien de temps encore ?
La France ne doit pas contribuer à former une élite musulmane
Comment s’étonner encore qu’une école privée laïque, MHS Paris, à l’enseignement d’avant-garde, ait été fermée sous de fallacieux prétextes qui cachent la véritable raison de la vindicte du ministre de l’intérieur : elle acceptait que des jeunes filles portent un foulard en cours. Comment s’étonner enfin que sa directrice soit interdite d’enseigner, soit entachée d’une inscription au casier judiciaire, alors que le juge qui invitait les internautes à violer sa fille de 13 ans, n’a été condamné qu’avec sursis, et n’aura par conséquent aucune mention sur son casier ? Oui, ce pays marche sur la tête.

Sous la pression de la Préfecture de la Drôme, qui a repris une fausse information publiée par Charlie Hebdo, la ville de Valence a annulé la vente d’un terrain à une école privée musulmane, pourtant bien cotée auprès du rectorat. Cette fois, le racisme d’État s’appuie sur un journalisme de caniveau. Le philosophe Michel Maffesoli, faisant référence à la façon dont les medias français relaient, sans le moindre esprit critique, l’idéologie dominante, rappelait au micro de BFMTV la phrase de Nietsche qui disait en 1890 : « Encore un siècle de journalisme, et les mots pueront ».
Par une folie électoraliste dont on ne comprend d’ailleurs pas très bien les tenants et les aboutissants, compte tenu du fiasco du parti présidentiel aux législatives, les musulmans ont été désignés comme les boucs émissaires officiels de la République.
Une fois de plus, Xavier Bertrand, le président de la région de Lille, malgré toutes les injonctions judiciaires, refuse d’accorder au lycée Averroès la subvention à laquelle il a droit. Sachant que cette décision est illégale, il joue le temps, en multipliant les procédures d’appel, dans l’espoir que ce lycée soit asphyxié financièrement et ferme ses portes. Or le Lycée Averroès a été élu meilleurs lycée de France, et a 100% de réussite au bac. Mais voilà, invoquant la loi « séparatisme, » Xavier Bertrand ne souhaite pas que l’on forme des élites de confession musulmane.
C’est en vertu de cette même loi que le Préfet du Rhône a refusé le renouvellement du droit de séjour et prononcé une OQTF contre un jeune algérien. Délinquant ? Non. Un brillant médecin aux multiples diplômes encensé par ses pairs, qui continue d’accumuler les spécialisations. Une « erreur » s’est justifie l’État devant le tribunal qui a annulé l’OQTF, mais qui pourtant n’a toujours pas renouvelé le titre du médecin. Résultat, une partie du service oncologie du CHU de Saint-Etienne va fermer. Cette nouvelle affaire, révélée par Mediapart, montre à quel point la politique-spectacle du chiffre engagée par le gouvernement risque de conduire à d’inacceptables dérives. Quand l’excès de zèle confine à la simple discrimination.
Quant à la pantalonnade de l’affaire Iquioussen, où l’acharnement hystérique du Ministre de l’Intérieur a tourné à la farce, elle est également l’illustration de cette ambiance de chasse aux sorcières qui finira comme a fini le MacCarthysme : aux oubliettes du grotesque. Comment, toutefois, ne pas se poser la question du traitement privilégié dont bénéficie le Ministre, toujours en poste, alors qu’il est toujours sous l’accusation de viol (l’une des plaignantes a fait appel du non-lieu) ? D’autres ont fait les frais de rumeurs semblables : Damien Abad n’a pas eu l’indulgence du Président de la République. Pas d’investigation non plus sur les relations financières entre Iquioussen et la famille du Ministre révélées par Mediapart… deux poids et deux mesures.
Mais finalement, le Ministre de l’Intérieur a bon dos. Après tout, il n’avait rien caché de ses intentions avant sa nomination. Il suffisait de lire « Le séparatisme islamique ». C’est en toute connaissance de cause que le Président de la République, reniant ses promesses électorales du « vivre ensemble », l’a choisi.
Le racisme hors les murs
D’ailleurs, ce n’est pas qu’à l’intérieur que se manifeste cette idéologie anti-musulmane. Les restrictions de visas pour les maghrébins, les petites phrases à l’encontre de la Turquie, ou des pays du Golfe suffiraient presque à le démontrer. Mais c’est dans le conflit du Caucase du Sud que la France, et l’ensemble presque unanime de la classe politique, laisse libre cours à sa haine.

Le soutien inconditionnel à l’Arménie parait objectivement incohérent. L’occupation du Karabakh par l’Arménie a été par quatre fois condamnée par le conseil de sécurité de l’ONU, dont la France fait partie, qui a demandé aux troupes arméniennes de quitter sans délai le territoire azerbaïdjanais. Un million de mines ont été enterrées au Karabakh, en violation du droit international, par des commandos arméniens, qui continuent à profiter de l’ambigüité des frontières pour poursuivre le piégeage des villes frontalières.
Pourtant, le président de la République française, qui devrait adopter une position neutre en raison de son rôle dans le groupe de Minsk, affirme ouvertement son appui à l’Arménie, et présente l’Azerbaïdjan comme l’agresseur.
Des parlementaires se rendent à Erevan et se couvrent de ridicule en continuant à demander des sanctions contre l’Azerbaïdjan alors que les deux pays viennent de s’engager à faire taire les armes, et souhaitent prendre le chemin de la paix.
Enfin, la France, qui condamne l’agression contre l’Ukraine, se range du côté de l’Arménie qui, elle, apporte un soutien militaire à la Russie dans le conflit.
Pour justifier cette incohérence, on évoque souvent le poids électoral du lobby arménien. Mais en réalité, il y a plus de musulmans en France que d’Arméniens ! Non. Il suffit d’écouter les arguments avancés pour comprendre la situation : la droite française, Renaissance comprise, présente l’appui à l’Arménie comme un soutien aux chrétiens d’Orient. Schématiquement, le conflit du Karabakh serait une guerre de religions, les méchants musulmans azéris en voulant aux gentils chrétiens. Une croisade des temps modernes en quelque sorte.
Pourtant, l’Azerbaïdjan, contrairement à l’Arménie, est un pays laïque, par sa constitution et dans les faits, puisque 48 ethnies, religions et cultures s’y côtoient, dont les Arméniens. Il existe notamment d’importantes communautés chrétiennes, en particulier l’église chrétienne albanienne, plus ancienne même que l’église arménienne, et l’église orthodoxe, qui sont tout autant des chrétiens d’orient. Le Père Constantine, l’un des responsable de l’Eglise orthodoxe azerbaïdjanaise. a d’ailleurs lancé un appel à l’aide aux chrétiens du monde pour sauver sa communauté dont les églises ont été détruites par les Arméniens pendant l’occupation.
Instrumentaliser le conflit du Caucase en le faisant passer pour un conflit confessionnel, voilà une manière qui paraît peut-être tirée par les cheveux, mais qui fonctionne, de désigner l’Islam et les musulmans comme un danger pour notre civilisation. La thèse du grand remplacement ne fait, finalement, que prendre la place de la pieuvre juive de la propagande nazie.
Voilà où nous en sommes. Jusqu’à Jacques Chirac, les Présidents français ont, pendant 50 ans, bâti la grandeur de la France. 15 ans ont suffi pour la ruiner. Aujourd’hui notre pays, recroquevillé sur lui-même, est absent de tous les lieux où se construit le monde de demain, sa voix n’est plus écoutée, sa langue n’est plus parlée, sa culture ne rayonne plus. Comment s’en étonner lorsque toute son énergie passe à se combattre lui-même ?
Ce n’est pas en interdisant aux imams d’évoquer le racisme d’État qu’on effacera son existence. Le regretté Pierre Mendès-France disait : « Le racisme, ça ne se discute pas, ça se combat ».
Il est temps que les Français unissent leurs forces pour faire rentrer le monstre dans sa cage.