Oubliées les assignations à résidence arbitraires, pardonnés le doublement du prix des tickets de metro, les trains en retard, les rues condamnées qui ont pourri la vie des Parisiens, les SDF expulsés de leurs abris, les violences policières. Effacées de même la situation catastrophique de l’économie française, la poussée de l’extrême droite, l’avalanche de 49.3, la réforme des retraites, la dissolution de l’Assemblée. Même la police fait ami-ami avec une population enthousiaste. Les Français sont redevenus fiers d’arborer le drapeau tricolore fiers, d’être français. Pourquoi ? parce qu’ils se sentent les héritiers de Rabelais, Descartes, Pascal, Molière ? Non. Ils sont fiers d’appartenir à « une France qui gagne ».
Une France qui gagne ? Pourtant les inégalités persistent, le pays reste plus que jamais au rancart de la politique internationale. Il n’y a toujours pas de premier ministre, et le président continue à n’en faire qu’à sa tête.
Si les Français exultent, c’est simplement parce qu’ils s’identifient aux sportifs qui sont en train de récolter une moisson de médailles aux Jeux Olympiques de Paris. Bien sûr ce ne sont pas les citoyens français qui gagnent, mais des sportifs professionnels. Mais qu’importe. Même les tableaux contestables de la cérémonie d’ouverture ont été noyés dans l’allégresse vouée à nos nouveaux héros Dupont, Marchand, Riner.
Emmanuel Macron l’a bien compris. Les deux leviers de la manipulation de masse sont la terreur et la joie. Et cet égard, il faut bien reconnaître qu’il a une chance insolente. La peur de mourir a fait taire la révolte des gilets jaunes, Les ippons de Teddy ont éteint la colère des exclus.
Voilà comment on soumet un peuple : « Panem et circenses ». L’expression vient du poète latin Juvenal : « Ces Romains si jaloux, si fiers (…) qui jadis commandaient aux rois et aux nations (…) et régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre, esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs, que leur faut-il ? Du pain et les jeux du cirque. »
« Du pain et des jeux »… Et encore, ici, comme au Brésil ou dans ces dictatures où le foot enflamme l’enthousiasme des plus démunis, il semble bien que les jeux suffisent à nourrir les corps et les esprits. La cérémonie d’ouverture exhibait une Marie-Antoinette dont la tête décapitée chantait « Ça ira… ». Reine suppliciée pour n’avoir pas entendu son peuple qui réclamait précisément du pain. Ironie d’une coïncidence ou cynisme d’une allusion assumée ? Seul le metteur en scène connaît la réponse.
Dans les années 70, Zbigniew Brzeziński, le conseiller du président Jimmy Carter, membre éminent de la commission trilatérale, avait modélisé cette méthode d’hypnose des masses à travers le concept de « tittytainment », selon lequel il était possible d’ inhiber la critique politique chez les laissés-pour-compte du libéralisme et du mondialisme par l’omniprésence de divertissements abrutissants.
Alors oui, les Jeux Olympiques, c’est sympa. Les champions sont méritants. Leurs victoires, ils les doivent à leur travail et à leurs sacrifices. Leurs victoires sont les leurs, pas les nôtres, même si le spectacle en vaut la peine. Surtout, ne nous laissons pas payer, comme le fit le Seigneur Jean de Rabelais, par le tintement d’une pièce d’or. Que la «diversité » affichée aux JO ne nous fasse pas oublier les discriminations et les actes islamophobes, que les « victoires » françaises ne détournent pas notre attention des fautes de nos politiciens, et des crimes de ceux qu’ils soutiennent. L’autosatisfaction de nos dirigeants donnent parfois des haut-le-cœur, eux qui se voient sur le podium alors qu’ils devraient être disqualifiés.