LE CFCM EST MORT… VIVE LE FORIF ?

Par Jean-Michel Brun, Directeur de la Rédaction

Emmanuel Macron vient de débrancher le CFCM, en coma artificiel depuis que Gerald Darmanin a annoncé son agonie.

Samedi 5 février, le gouvernement va mettre sur les rails sa nouvelle trouvaille : le FORIF « Forum de l’Islam de France ». Un baptême en grande pompe qui se tiendra à Paris, avenue d’Iena, au très symbolique Conseil Économique Social et Environnemental. Symbolique à double titre. D’abord parce que c’est là que s’est tenue la « Convention citoyenne sur le climat », rattrapage in extremis, deux mois avant les présidentielles, d’une politique environnementale qui, jusqu’ici, brillait par son absence. Ensuite parce que cela fait des années que tout le monde se demande à quoi peut bien servir ce Conseil Économique et Social dont les membres se contentent souvent de pointer avant de rentrer chez aux, l’horloge étant le sésame de leurs indemnité (hormis quelques rares bons élèves comme Allain Bougrain-Dubourg, le très efficace président de la Ligue de Protection des Oiseaux et de la Biodiversité), et dont les rares rapports ne sont lus par personne. Tout un symbole donc pour ce nouvel avatar du CFCM.

L’idée est pourtant simple au départ : « une sorte de convention citoyenne avec des musulmans, actifs, qui veulent échanger avec l’État », résument les organisateurs.

Calqué (l’originalité n’est pas le fort de l’exécutif) sur le modèle allemand du Deutsche Islam Konferenz, le FORIF va réunir une centaine de participants qui seront appelés à réfléchir sur les problématiques suivantes :

– les aumôneries musulmanes
– la formation des imams
– les rapports entre l’islam et la loi du 24 Août 2021 « confortant le respect des principes de la République »
– les actes anti-musulmans

Le FORIF devrait plus tard avoir à se pencher sur l’organisation de l’islam de France et désigner ses représentants.

L’objectif annoncé de l’exécutif et de ses conseillers est de « mettre fin à l’islam consulaire », autrement dit à l’influence des pays étrangers sur l’islam de France. «  L’islam n’est pas une religion d’étrangers en France mais une religion française qui ne doit dépendre ni de l’argent, ni des autorités étrangères. » martèle le Ministre de l’Intérieur.

L’idée n’est pas nouvelle. Cela fait des années que Ghaleb Bencheikh, le président de la Fondation de l’Islam de France, en a fait l’un de ses chevaux de bataille.

Oui, mais la façon dont on s’y prend risque bien de mener cette feuille de route dans l’impasse.

Pour s’assurer de l’indépendance de la structure, les conseillers de l’exécutif partent de quelques idées simples : limiter les participants à une centaine de membres cooptés par celui-ci, éliminer les fédérations, considérées comme les rouages de « l’islam consulaire », et disqualifier d’emblée les personnalités considérées, à tort ou à raison, comme proches des « frères musulmans », une notion d’ailleurs aussi floue que celles de « salafisme » ou de « séparatisme ».

Idées simples donc, mais peut-être un peu simplistes.
Comment espérer rallier les quelques 6 millions de musulmans de la base à un organisme dont les membres sont désignés par un gouvernement qui prône une laïcité exclusive, et dont les heureux élus devront naturellement se conformer aux choix idéologiques du Ministre de l’Intérieur ? La composition du FORIF a été décidée avec la collaboration des préfets, qui ont puisé dans les participants aux assises territoriales de l’islam, boudées par la majorité des acteurs musulmans. Quant aux noms qui sont évoqués pour mener la danse, comme Yacine Hilmi, Abdelhaq Nabaoui, ou Kamel Kabtane , sans préjuger de leurs qualités intrinsèques, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne font pas l’unanimité.

Comment espérer créer à terme un organisme représentatif si on commence par en exclure les associations qui représentent plus de la moitié des lieux de cultes musulmans en France ?

Comment faire confiance à ceux qui donnent au FORIF la mission de recenser les actes anti-musulmans, alors qu’ils contestent eux-mêmes le terme d’islamophobie et procèdent systématiquement à la dissolution des associations qui se consacrent à leur faire barrage , ou même des organismes publics, comme le feu Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco, qui ont osé en faire mention ?

Le gouvernement souhaite en finir avec les imams étrangers. Fort bien. Son plan : structurer la formation des « cadres » de l’islam, et « travailler avec ceux qui respectent un socle de valeurs et qui cherchent à avancer, principalement des acteurs locaux et régionaux ». Mais qui va respecter des imams dont la formation sera contrôlée par un organisme aussi peu représentatif ?
Quelle légitimité cet enseignement, décidé au sommet de l’Etat, espère-t-il avoir ?

L’un des participants au FORIF, nous exhortait, au cours d’une longue conversation, à croire en ses bonnes intentions et sa bonne volonté. Rien ne nous permet d’en douter. Mais la candeur a ses limites. On est en droit de se demander quelles intentions dissimule un pouvoir qui choisit de créer une structure visiblement vouée à l’échec, sinon celle de faire tout son possible pour que les musulmans ne puissent jamais s’organiser. En multipliant les initiatives dont on sait par avance qu’elles seront refusées par la majorité des intéressés mais acceptés par d’autres, comme la très contestable Charte de la laïcité de 2021, on ne fait qu’attiser les dissensions intra-communautaires déjà trop présentes.

Ce qui effraie le plus l’exécutif, ce serait l’éventualité d’un consensus, avec en perspective, la terreur chimérique d’un vote communautaire.

Attiser les dissensions, c’est aussi donner du grain à moudre au discours droitier qui cherche à démontrer que les musulmans ne sont décidément pas des gens fréquentables, et que chercher à dialoguer avec eux sera éternellement peine perdue. Un argument susceptible de conforter les choix électoralistes de l’actuel pouvoir.

Les rivalités, la communauté musulmane n’en a d’ailleurs pas le monopole. Entre les deux parrains du FORIF : l’exécutif représenté par le Ministère de l’intérieur, et le Bureau Central des Cultes dirigée par Clément Rouchouse, enclave administrative dudit ministère, qui dérange plutôt qu’elle n’arrange, l’ambiance n’est pas toujours à la franche camaraderie. Des parents déchirés font rarement des enfants sereins.

Les musulmans sont divisés. Ou peut-être sont-ils simplement divers. La divergence est en effet l’une des richesses de la religion musulmane. « L’éthique du désaccord » (Adab al Ikhtilaf) est précisément une science dont l’objectif est de faciliter le débat en évitant les divisions.Alors pourquoi vouloir systématiquement organiser l’islam ? Pourquoi ne pas tout simplement laisser les musulmans tranquilles, leur permettre de vivre leur foi, chacun à sa manière sans chercher à l’uniformiser. On ne le répétera jamais assez, le « séparatisme » est une fable politicienne.

Au contraire, vouloir organiser les musulmans, chercher à leur donner une représentation unique, les traiter comme un tout, c’est exactement cela le communautarisme que la droite française brandit comme un épouvantail.

Si l’Etat français souhaitait vraiment, comme il en a l’obligation, protéger la liberté de culte, il prendrait en compte le fait que la France musulmane change. Les anciens dirigeants historiques sont en train de céder leur place, atteints par la limite d’âge ou par l’usure d’une gestion sans issue. Même Musulmans de France, l’ex UOIF, a remplacé le très politique Amar Lasfar par un homme du terrain, Mohsen Ngazou.

Une nouvelle génération de jeunes musulmans, fortement impliqué dans la vie économique et sociale, créateurs d’entreprises à succès, non seulement respectueux, mais contributeurs de l’esprit républicain français, sont prêts à prendre le relais. Ils sont l’islam de demain.

L’exécutif préfère s’entourer d’une oligarchie de conseillers à l’ambition démesurée dont il n’écoute les voix que parce qu’ils lui disent ce qu’il a envie d’entendre. Cela n’aura qu’un temps. Les Présidents passent, les Français restent.

Comme à l’habitude, il ne faudra compter que sur soi même. Multiplier les initiatives pour faire découvrir à l’ensemble des Français, endoctrinés malgré eux par des discours délétères, la richesse de la culture musulmane, ses apports décisifs à notre civilisation que, depuis Jules Ferry, l’école s’est employée à effacer. Et l’islam de France s’organisera tout seul, nourri par toutes ses bonnes volontés. Il n’a pas besoin d’un Ministère pour cela. La tâche n’est pas aisée. Les Croisés d’une France rabougrie, les hérauts délirants d’un fantasme apocalyptique ne se laisseront pas faire. Mais, comme le disait Guillaume d’Orange « Il n’est ps nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

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