LAÏCITÉ « À LA FRANÇAISE » : LA FRACTURE DES GÉNÉRATIONS

Manifestation contre l'islamophobie - Paris 2019 Qu'est ce que la laïcité?

Le sondage réalisé cette semaine auprès des lycéens par l’Ifop à la demande de la LICRA et de la revue « Le Droit de Vivre » devrait, si du moins l’Etat se souvient encore que la France de demain sera construite par les jeunes d’aujourd’hui, inciter celui-ci à réviser sa conception des « valeurs républicaines ».
Les jeunes ne sont plus en phase avec une vision de la laïcité qu’ils jugent surannée. Pour eux, la laïcité doit être garante de la liberté de conscience, et permettre d’exprimer celle-ci, en tous lieux et en toutes circonstances. Elle ne doit pas devenir une sorte de loi de confinement qui enfermerait la foi dans la sphère privée, avec interdiction de la sortir de chez soi.
Qu’on en juge…


La laïcité, c’est la liberté d’exprimer sa religion


Plus d’un lycéen sur deux (52 %) se déclare favorable au port de signes religieux, dits «  ostensibles » (hijab, kippa, etc..) dans l’établissement, soit deux fois plus que chez les adultes (25 %). Il apparaît d’ailleurs que la récente dérive laïciste n’a fait que creuser l’écart avec la jeunesse, puisqu’il y a 15 ans, cette idée était majoritairement rejetée (à 58 %) par les élèves de 14-16 ans, ainsi que le rapporte la revue « Le Droit de Vivre ». Dans le même esprit, 57% des lycéens jugent que l’on devrait laisser les parents accompagnateurs s’habiller comme ils veulent (contre 26% chez l’ensemble des français). 49 % des lycéens estiment que les agents des services publics, les enseignants, les policiers, devraient avoir le droit d’afficher leurs convictions religieuses. Ils ne sont que 21% dans le reste de la population. Le soutien est plus faible à propos du du port du « burkini » lors des cours de natation, mais tout de même beaucoup plus important que pour la moyenne des Français (38 % contre 24%, mais 63 % chez les élèves scolarisés en REP).

Droit au blasphème ?


A la question : « En France la loi de juillet 1881sur la liberté de la presse autorise l’expression de critiques, y compris outrageantes, à l’encontre d’une croyance, d’un symbole, ou d’un dogme religieux. Personnellement, êtes-vous favorables à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole, ou un dogme religieux ? », la majorité des lycéens (52%) répondent par la négative. Une proportion qui s’élève à 78% chez les jeunes musulmans, et à 65 chez les personnes perçues comme « non blanches ».
Les adolescents d’aujourd’hui considèrent que la religion fait partie de l’identité de l’individu, et que s’en moquer est une marque de mépris ou d’agressivité.
Il est intéressant de noter que, alors que le mot ne figure pas dans la question, les commentateurs, notamment les commanditaires de l’enquête et les journalistes de magazines comme Le Point, parlent de droit au « blasphème ». Une notion d’ailleurs inconnue dans la religion musulmane.

Les jeunes fidèles à la conception originale de la laïcité


Fidèles à la ligne d’Aristide Briand, initiateur de la loi de 1905, la jeunesse française considère que celle-ci doit rester le garant de la liberté de conscience. Alors que 26% des adultes confèrent à la laïcité la mission de « faire reculer l’influence des religions dans la société », 11% seulement des jeunes adhèrent à cette conception. Plus d’un lycéen sur trois (37%) considèrent que les lois sur la laïcité sont discriminatoires à l’égard des musulmans. La proportion est naturellement supérieure pour les élèves musulmans (81 %) et ceux vivant dans les zones REP (55%).

Un véritable fossé générationnel


Entre les jeunes – qui se veulent plus ouverts, inclusifs, tolérants, plus solidaires, plus soucieux de l’avenir de la planète, pour lesquels la différence est source de richesse – et leurs parents, rien ne va plus.
La radicalisation des partisans d’une laïcité anti-cléricale a d’ailleurs eu des conséquences inverses de l’effet escompté. Ils ne sont que 61% à juger que Samuel Paty a eu raison de présenter les caricatures à ses élèves. Une proportion qui descend à 46% chez les élèves en zone d’éducation prioritaire. D’ailleurs le titre de l’article de la revue commanditaire du sondage est évocateur de ce décalage : « Les lycéens d’aujourd’hui sont-ils Paty ? ». Comme s’il était demandé aux lycéens de lier leur vision de la laïcité à celle du meurtre de l’enseignant. Etre pour ou contre la laïcité « à la française » ET l’assassinat du professeur. De la même façon que ne pas « être Charlie » devait être interprété comme un refus de la liberté d’expression. Sans nuance, la question n’a plus de sens.

Ce sont les jeunes qui n’ont rien compris

Les adultes vont-ils tirer un enseignement de cette fronde de la jeunesse, qui n’est pas sans rappeler celle des années soixante face à la France vieillissante et conservatrice de Charles de Gaulle, lequel, pourtant souvent visionnaire, n’avait pas vu que le monde avait changé ? A la lecture des commentaires, rien n’est moins sûr.
Si les jeunes ne sont plus en phase avec la société des adultes, c’est qu’ils n’ont rien compris. C’est, martèle Catherine Kintzler dans Le Point, la faute à « trente ans d’erreurs éducatives », imputables à un enseignement qui n’a pas su inculquer à nos jeunes les vertus d’une société sans croyances irrationnelles. Qui a laissé libre cours à une « sacralisation du convictionnel ». « On nous explique à longueur de débats que l’opinion, la croyance sont une partie essentielle de l’individu, constitutive de sa conscience. De la même manière que les élèves ne distinguent plus les espaces privé, social, ou public au sens juridique du terme (l’école, les tribunaux, etc.), ils ne font plus la distinction entre la croyance ou l’opinion, et les personnes qui y adhèrent ».
René Guénon doit se retourner dans sa tombe !
Bernard Ravet, délégué éducation de la Licra et ancien chef d’établissement, voit aussi dans cette défiance, cette approche « minimaliste » du monde merveilleux de la laïcité  « un échec des politiques éducatives à promouvoir les valeurs républicaines » et « un recul du modèle laïque ».

La jeunesse se désespère

Et si c’était la société des adultes qui était en retard sur l’évolution des mentalités ? La jeunesse française refuse le postulat selon lequel les valeurs républicaines seraient celles de l’assimilation, de l’unicité de la pensée, du rejet du spirituel. Elle ne veut plus se laisser intellectuellement enfermer dans les étroites limites de l’hexagone. Elle est à l’écoute du monde, elle vibre au diapason de l’humanité. Elle se sent plus concernée par la dégradation de la planète que par le sort des filières agricoles. Elle comprend mal la gestion de la covid 19, où les gouvernements des « pays  blancs aisés » invitent leur population à « se protéger les uns les autres », alors que les mêmes Etats exportent leurs conflits meurtriers, et laissent chaque année des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants mourir de maladies et de malnutrition.


A moins que la faute ne vienne de ces idées pernicieuses venues d’ailleurs. François Kraus, auteur de l’enquête voit dans les résultats de celle-ci « une vision anglo-saxonne ou même islamiste des choses » Evidemment !


Heureusement, le ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer, a confié à l’ancien inspecteur de l’éducation nationale Jean-Pierre Obin la mission pour harmoniser et améliorer la formation des enseignants et chefs d’établissement à la laïcité. Ouf !


Soyons sérieux.  « La jeunesse se désespère. Elle est profondément désespérée parce qu’elle n’a plus d’appui, elle ne croit plus en la politique française (…) Le désespoir est mobilisateur, et lorsqu’il est mobilisateur il devient dangereux». «Il faut que les grandes personnes qui dirigent ce monde soient prévenues que les jeunes vont virer du mauvais côté parce qu’il n’auront plus d’autre solution ».
Le 19 mars 1980, le jeune chanteur Daniel Balavoine interpellait ainsi le candidat à la présidentielle François Mitterrand.
Nous y voici de nouveau. Mais quoi que fasse la France conservatrice, cette jeunesse qui n’en veut plus prendra prochainement les rênes de ce pays, et il est fort à parier que ces lois liberticides finiront leur carrière à la corbeille.


C’est d’ailleurs ce que prédisent les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland . La faute à qui ? au « poids croissant des musulmans en France» («  La Tentation radicale  » – PUF).

Ben voyons…

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