Dans une lettre adressée au roi Mohammed VI à l’occasion de l’anniversaire des 25 ans de son règne, Emmanuel Macron écrit : « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », prenant ainsi pour la première fois officiellement position en faveur de la vision marocaine dans un conflit qui oppose le Maroc, les indépendantistes sahraouis, et l’Algérie qui soutient ces derniers. Un conflit qui fracture depuis des années les relations entre les deux principaux acteurs du Maghreb : le Maroc et l’Algérie.
La guerre des sables
Colonie espagnole jusqu’en 1975, le Sahara occidental est un territoire de 266 000 km2 situé au Nord-Ouest de l’Afrique, bordé par le Maroc au nord, la Mauritanie à l’est et au sud et l’Algérie au nord-est. En 1975, les Espagnols quittent brusquement le territoire sans mettre en place la moindre stratégie de passage à la décolonisation.Dès 1976, le Front Polisario, parti représentant les Sahraouis vivant sur le territoire, proclame l’indépendance de l’ancienne colonie et la création de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Mais dans le même temps, le Maroc et la Mauritanie revendiquent respectivement la partie Nord et la partie sud du Sahara occidental. S’ensuivit une guerre au cours de laquelle le Polisario, soutenu par l’Algérie, attaqua les armées marocaine et mauritanienne qui avaient pris position notamment autour de la ligne de chemin de fer menant le minerai de fer de Zouerate au port mauritanien de Nouadhibou , à l’époque le train le plus long du monde, et autour du téléphérique amenant le phosphate des mines de Boukraa jusqu’à l’Atlantique. Les réserves considérables de phosphate et de fer étant les principales richesses du Sahara occidental et les véritables enjeux de cette guerre des sables.
Après le putsch en Mauritanie qui renversa Moktar Ould Daddah en juillet 1978, le Front Polisario déclara un cessez-le-feu unilatéral avec Nouakchott. La Mauritanie céda sa partie du Sahara au Front Polisario, mais le 14 août 1979, le Maroc annonçait l’annexion de l’ancien territoire mauritanien.
Une partie des sahraouis se sont réfugié dans la région de Tindouf, en Algérie, tandis que d’autres poursuivent le combat pour leur indépendance.
Le Maroc accuse l’Algérie de soutenir des guerilleros, tandis que l’Algérie l’accuse à son tour de menées colonialistes.
La France renonce à son impartialité
Traditionnellement, la France, qui ne souhaitait s’aliéner ni Alger, ni Rabat, adoptait une position neutre, appelant les deux parties à trouver une solution négociée. Mais un autre acteur est venu s’inviter dans le débat : Israël, qui voit dans une alliance avec le Maroc un bouclier contre le nationalisme arabe qui se place, comme l’Algérie, du côté des Palestiniens dans le conflit du Moyen-Orient. En échange de l’affirmation de la marocanité du Sahara, le royaume chérifien apporte son soutient à Israël en Palestine, et obtient, par la même occasion celui des États-Unis sous Donald Trump, fin 2020 et celui de l’Allemagne.
Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron ne parvient pas à adopter une position claire à propos du Maghreb, jouant successivement le jeu de l’amitié avec l’un ou l’autre, en fonction de l’interlocuteur qui lui fait face. Entre déclarations catastrophiques et visites de rattrapage, les relations avec l’Algérie ont connu des hauts et des bas, notamment en raison des contentieux relatifs aux conséquences de la colonisation française. Mais les dernières manifestations de rapprochement avec l’Algérie avaient profondément irrité le rival marocain. C’est finalement le soutien inconditionnel de la France à Israël qui a fait pencher la balance du côté de son allié marocain. La France a ainsi abandonné le rôle d’arbitre qu‘elle aurait pu avoir, et ainsi contribuer à mettre en place une solution acceptable par les deux parties dans un conflit beaucoup plus complexe qu’un simple jeu d’ego. Prendre parti pour l’un des acteurs d’un litige au lieu de contribuer à une solution négociée est l’une des caractéristiques de la politique étrangère de Macron, qui s’est notamment illustrée dans l’affaire du Caucase entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Pour Rabat, ce soutien est évidemment une aubaine : « Cette annonce de la République française, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, constitue une évolution importante et significative en soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara », a estimé le Cabinet royal dans un communiqué.
On s’en doute, la lettre adressée au roi du Maroc mécontente fortement Alger. L’Algérie « tirera toutes les conséquences qui découlent de cette décision française » et dont le gouvernement français « assume seul la pleine et entière responsabilité », a menacé le ministère des Affaires étrangères algérien, qui dénonce « des puissances coloniales, anciennes et nouvelles, [qui] savent se reconnaître, se comprendre et se tendre des mains secourables ».
En représailles, le gouvernement algérien a rappelé son ambassadeur à Paris. «Ce n’est pas un simple rappel d’ambassadeur pour des consultations. C’est une diminution de la représentation diplomatique. C’est un pas important pour exprimer notre condamnation et notre réprobation», a déclaré en conférence de presse Ahmed Attaf, ministre algérien des Affaires étrangères.«Le retrait de l’ambassadeur est un premier pas qui sera suivi par d’autres», a-t-il précisé. Le Sahara occidental «demeure “un territoire non autonome selon l’ONU“ et la décision française n’y changera rien», a-t-il assuré, affirmant que la «Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) restera en place». Rabat, qui contrôle de facto près de 80% du Sahara occidental, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté, tandis que les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie, réclament un référendum d’autodétermination, prévu par l’ONU lors de la signature du cessez-le-feu de 1991.
«Il y a une expression simple pour désigner la valeur juridique de cette reconnaissance (française), il s’agit d’un cadeau de celui qui ne possède pas à celui qui ne mérite pas», a ironisé Ahmed Attaf, qui a laissé entendre que la visite de Abdelmadjid Tebboune prévue fin septembre en France n’était plus d’actualité et que son annulation faisait partie des décisions qui seraient prises en représailles.
En France, on s’étonne à gauche que le président de la République prenne une position si grave, si tranchée et si lourde conséquence alors que le gouvernement est, en principe, démissionnaire. En revanche, à droite, la décision d’Emmanuel Macron est accueillie avec enthousiasme. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a qualifié ce changement d’approche de la France « décisif » et estime qu’il « était temps de prendre en compte les réalités et de sortir d’une incertitude stérile ».Marine Le Pen, estime quant à elle que la reconnaissance du Sahara occidental comme partie intégrante du Maroc, est arrivée trop tard.
Éric Ciotti, président contesté de LR depuis son alliance avec le RN aux dernières élections législatives, a déclaré dans un post sur X qu’il se réjouissait de la décision de Macron, se qualifiant de « défenseur historique de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ».
Photo : Combattant du Polisario, Sahara occidental, 1977 – Photo Jean-Michel Brun