JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE : PLUS D’INTENTIONS QUE D’ACTIONS.

Par une résolution adoptée le 15 mars 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de proclamer le 15 mars Journée internationale de la lutte contre l’islamophobie.

Antonio Guterres

Ce 15 mars 2023 a donc été la première journée destinée à « éradiquer le poison de la haine anti-musulmane », selon les termes du secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, qui ajoute : « Les quelque 2 milliards de musulmans que compte la planète reflètent l’humanité dans toute sa magnifique diversité. Mais ils sont souvent confrontés au sectarisme et aux préjugés pour la seule raison de leur foi ». En effet, insiste-t-il, « Au-delà de la discrimination structurelle et institutionnelle et de la stigmatisation générale des communautés musulmanes, les musulmans sont victimes d’attaques personnelles, d’une rhétorique haineuse et de la désignation de boucs émissaires. La triple discrimination dont sont victimes les femmes musulmanes en raison de leur sexe, de leur appartenance ethnique et de leur foi est l’une des pires conséquences de cette situation ».

António Guterres rappelle enfin que « Depuis plus d’un millénaire, le message de paix, de compassion et de grâce de l’islam inspire les peuples du monde entier. Toutes les grandes religions et traditions invoquent les impératifs de tolérance, de respect et de compréhension mutuelle », en concluant : « Au fond, il s’agit de valeurs universelles : elles animent la Charte des Nations Unies et sont au cœur de notre quête de justice, de droits de l’homme et de paix ».

La montée de la haine à l’encontre des musulmans s’inscrit dans la résurgence de l’ethno-nationalisme, des idéologies néo-nazies, du suprémacisme blanc, et de la violence à l’encontre de certaines populations, comme les personnes de confession musulmane ou juive.

Certains pays sont à la pointe du racisme anti-musulman, et il est consternant de constater que la France fait, hélas, partie de ceux-là. Sous le prétexte d’une laïcité détournée de ses principes tels qu’ils ont été définis par Aristide Briand en 1905, la chasse aux musulmans s’est ouverte dans ce pays.

Hasard ou ironie du sort, on remarquera que c’est aussi un 15 mars que fut votée la loi de 2004 « Encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».

Pas étonnant donc qu’à l’annonce de la proclamation de la Journée Internationale contre l’Islamophobie, des voix se sont aussitôt élevées en France pour dénoncer un concept qui, selon certains, n’existerait pas. L’hebdomadaire Marianne a lui-même publié des tribunes délirantes pour nier le fait islamophobe, y voyant même une manoeuvre du « lobbying islamiste » ou un « coup de com’ du Pakistan ». Les milliers de musulmanes et musulmans de notre pays qui sont confrontés quotidienneement à la discrimination à l’embauche, au violences physiques, à la fermetures d’arbitraire de lieux de prière, d’écoles, d’associations, apprécieront. Mais après tout, le négationnisme est une vieille tradition française.

En tous cas, c’est dans le contexte de cette journée internationale qu’ont été organisées plusieurs manifestations et conférences dans divers pays.

La Ligue Islamique Mondiale réunit des responsables musulmans européens à Londres

Les 11 et 12 mars, la Ligue Islamique Mondiale organisait à Londres, en collaboration avec le British Muslim Council, sa « 1ère conférence des responsables musulmans en Europe ».

C’est la seconde fois que la LIM organisait une grande manifestation en Europe. La précédente s’était déroulée à Paris, le 17 septembre 2019, sous le titre « Conférence Internationale de Paris pour la Paix et la Solidarité », en collaboration avec la Fondation de l’Islam de France, et sous la présidence conjointe de Mohammed Abdelkarim Al-Issa, secrétaire général de la LIM, et de Ghaleb Bencheikh, président de la FIF.
Elle réunissait les responsable français de toutes les religions autour de la lutte contre le terrorisme et la Charte de la Mecque.

C’est une fois de plus la Charte de la Mecque qui était au cœur de la conférence de Londres. Mais qu’est-ce que la Charte de la Mecque ?

Depuis que l’Arabie Saoudite, sous l’impulsion du Prince héritier Mohammad Ben Salman, a tourné le dos au wahhabisme, la Ligue Islamique Mondiale a pris une nouvelle orientation, basée sur la tolérance, le coopération inter-religieuse, la lutte contre les discriminations.
Cette orientation s’est concrétisée en mai 2019, à la Mecque, où la Ligue islamique mondiale avait réuni 1200 savants, érudits, responsables religieux musulmans, venus de 139 pays. représentant l’ensemble des courants et variantes de l’Islam : Sunnites, Chiites, Druzes, etc. Ensemble, ils ont signé la Charte de la Mecque, texte fondateur de la « nouvelle » Ligue Islamique Mondiale. Le texte définissait les droits et les devoirs des musulmans, l’attitude à avoir à l’égard des non-musulmans, croyants ou non, et de la société en général. La Charte appuie chacun de ses principes sur des commandements issus du Coran ou de la Sunna.

La dénomination « Charte de la Mecque » fait référence à la Charte de Médine signée entre le Prophète et les tribus juives de Médine et qui garantissait les droits de toute la population médinoise.

La conférence de Londres a ainsi réuni 300 responsables religieux européens, sélectionnés par le LIM, autour de thèmes comme la diversité religieuse, la coexistence et la coopération inter-religieuse, la liberté d’expression. A l’heure où, comme le soulignait le secrétaire général de l’ONU, les musulmans sont victimes de discrimination dans de nombreux pays, notamment en Europe, on peut regretter que cette conférence n’ait pas réellement abordé le sujet très politique de l’islamophobie, et les moyens concrets de la combattre, et ait préféré se contenter de généralités consensuelles, comme la LIM l’avait d’ailleurs fait à Paris.

Quoique la politique n’était pas totalement absente puisque la LIM avait choisi de réserver ses honneurs à Chems Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui fut l’un des rares participants à avoir eu droit à un discours ex cathedra, au détriment de Ghaleb Bencheikh, ancien interlocuteur privilégié de la Ligue, relégué dans un simple panel. Celui-ci avait d’ailleurs décidé de ne pas se présenter comme le président de la Fondation de l’Islam de France, mais comme celui de l’association Religions pour la paix.

Sans préjuger de la légitimité des uns ou des autres à « représenter », comme l’indique le nom de a conférence, les musulmans français, il est probable que le fait que le recteur de la GMP soit le plus en odeur de sainteté élyséenne, ait compté dans ce choix. C’est hélas mal connaître la versatilité stratégique du locataire du « Château ».

On s’étonnera par ailleurs de la sous-représentation des musulmans français et de leur diversité, alors que la communauté musulmane française, avec ses 8 à 12 millions de membres, est la plus importante de tout le monde occidental, et que la politique française à l’égard de l’islam influe de manière décisive sur la politique européenne en la matière.

Toujours est-il que nous avons eu droit à des interventions, de qualité certes, mais lisses et policées, un peu à la manière du « Politically correct » de rigueur aux USA. Les musulmans américains étaient d’ailleurs sur-représentés lors de cette conférence. Ceci explique peut-être cela.

Est-ce la bonne manière de répondre aux attentes des musulmans discriminés ? Rappelons simplement que ce n’est pas à travers des discours consensuels que les noirs américains ont pu se défaire du racisme qui les frappaient jusqu’au Civil Rights de 1964.

Dommage. Les musulmans méritent sans doute que les responsables emblématiques de l’islam international montrent plus de pugnacité à les défendre.

Conférence internationale sur l’islamophobie à Bakou

Une autre conférence avait lieu à Bakou, en Azerbaïdjan, les 15 et 16 mars, cette fois sur le thème affiché de l’islamophobie. Une initiative prometteuse car l’Azerbaïdjan est peut-être l’exemple le plus spectaculaire d’entente inter-religieuse, avec ses 48 ethnies, et ses importantes communautés juives et chrétiennes qui vivent en osmose avec les musulmans, qu’ils soient chiites, comme la majorité d’entre eux, ou sunnites. C’est d’ailleurs l’une des explications de l’instrumentalisation de la crise avec l’Arménie par la droite française, terrorisée par le spectre du « cosmopolitisme », et par l’idée qu’une laïcité inclusive, comme celle qui existe en Azerbaïdjan, puisse servir un jour de modèle à la France.

Là encore, comme à Londres, la sous-représentation de l’islam de France, malgré sa richesse et sa diversité, et le choix des intervenants au sein des thèmes abordés, ont amoindri l’impact potentiel de cette conférence, qui est restée très en-deçà de que l’on pouvait en espérer. Par exemple, l’idée d’une table ronde sur la théorie du « Grand remplacement », reprise massivement par les droites européennes, était au départ une excellente initiative. Elle aurait été une occasion unique de réduire définitivement en poussière cette fumeuse élucubration popularisée par le français Renaud Camus. Mais aucun véritable spécialiste de la question n’était présent à la conférence. En revanche l’imam Bashar Mohamed Arafat, leader de la communauté musulmane de Baltimore aux Etats-Unis, présent à cette table ronde, n’a pas eu la possibilité de s’exprimer pleinement sur son formidable programme d’échanges inter-culturels et inter-civilisationnels de jeunes du monde entier, parfaite illustration d’une initiative concrète qui mériterait d’être généralisée à d’autres pays.

Les interventions, de qualité, comme à Londres, sont finalement restées cloîtrées dans un entre-soi universitaire, alors qu’on était en droit d’attendre des perspectives d’action et des programmes de mise en place de ces actions dans le temps.

« Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer »

La fameuse maxime de Guillaume d’Orange illustre parfaitement le résultat en demi-teinte de cette « Journée internationale contre l’islamophobie » et des manifestations qui l’ont accompagnée.

Mais après tout, la prise de conscience du phénomène islamophobe est récente, et il faut du temps pour mettre en place une véritable politique de tolérance à l’échelle internationale. Malgré la déception ressentie et l’impact limité que ces manifestations ont eu sur les communautés musulmanes, il faut louer ces initiatives qui ont eu au moins le mérite d’exister. Les prochaines éditions seront sans doute plus percutantes.

Il faut également qu’au niveau local, des initiatives de ce genre se multiplient, même si , comme en France, les autorités tentent d’y faire obstacle par tous les moyens.

En France justement, une cinquantaine d’élus du Val-de-Marne ont lancé, autour du maire d’Ivry, Philippe Bouyssou (PCF), un « plan de lutte contre l’islamophobie ». Leurs objectifs : sensibiliser la population aux discriminations vécues par certains Val-de-Marnais en raison de leur religion, dénoncer ces atteintes quand elles ont lieu ou encore aider juridiquement les victimes à porter plainte. Des avocats spécialisés les aideront dans leurs démarches, et La Ligue des droits de l’homme du Val-de-Marne participera aux actions à venir.

Les élus n’ont pas hésité à y accuser l’État d’actes islamophobes. « Nous vivons aujourd’hui dans un climat délétère où le gouvernement mobilise l’appareil de l’État de façon autoritaire, arbitraire et injustifié pour cibler les musulmans désignés comme ennemis de l’intérieur », écrivent les signataires. Ce qui a, naturellement provoqué l’ire de la préfecture qui « conteste avec force la notion d’islamophobie d’Etat et rappelle que l’action des services de l’Etat est guidée par le respect des principes de la République et la lutte contre tous les séparatismes. » On connaît la chanson.

Pour joindre le collectif : stopislamophobie94@gmail.com

Jean-Michel Brun

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