JEAN-MICHEL APHATIE CENSURÉ PAR LE TOUT-PUISSANT LOBBY DES NOSTALGIQUES DE LA COLONISATION




Jean-Michel Aphatie a franchi la ligne rouge : parler à la télévision des atrocités commises par les Français ors de la conquête de l’Algérie. Résultat : il a été immédiatement mis à l’écart de RTL, tandis que d’autres réclament son interdiction pure et simple des antennes. Quel crime a donc commis Aphatie ? Affirmer sur RTL le mardi 25 février 2025, que la France avait « fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie », et que « Les nazis se sont comportés comme la France en Algérie ».

Eh bien, n’en déplaise aux nostalgiques de la place des 3 horloges à Alger, tout ce qu’a dit l’éditorialiste est entièrement vrai. D’ailleurs, il n’est pas le premier, loin de là. En août 1945, « Ohé partisans », un journal fondé par un groupe de FTP, titrait : « Oradour-sur-Glane en Algérie ». Des historiens comme Alain Ruscio, (« La première guerre d’Algérie ») ou Pierre Vidal-Naquet (« Les Crimes de l’armée française Algérie ») ont raconté dans le détail les massacres commis par l’armée française dans les villages au moment de la colonisation.
Le site histoirecoloniale.net rapporte quelques uns de ce qu’il faut bien qualifier de « crimes contre l’humanité ».

Le duc de Rovigo et le massacre de la tribu des El Ouffia, avril 1832

Des émissaires d’un caïd du Constantinois, Ferhat ben Saïd, surnommé « le grand serpent du désert », allié des Français, furent interceptés et dépouillés par des maraudeurs, non loin de Maison-Carrée, à dix kilomètres d’Alger, sur un territoire où vivait la tribu d’El Ouffia, celle-ci n’ayant en rien participé au vol. Malgré cela, une expédition punitive fut immédiatement décidée. Dans la nuit du 6 au 7 avril 1832, une colonne, entre 600 et 800 hommes, selon les sources, mene par le duc de Rovigo, fondit sur le village au petit jour. Les habitants, écrivit Pellissier de Reynaud, furent égorgés, « sans que ces malheureux cherchassent même à se défendre. Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé ; on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe ». La plupart des récits estiment qu’il y eut entre 80 et 100 morts. Si ces chiffres sont fondés, cela signifie qu’il y eut entre six et huit assaillants pour un habitant tué.  Dès l’après-midi, la troupe revint. Certains soldats français arboraient fièrement des têtes piquées sur leurs lances. Afin de doubler cette répression, une opération visant à terrifier la population algéroise, le reste du butin – « des bracelets de femmes qui entouraient encore des poignets coupés et des boucles d’oreilles pendant à des lambeaux de chair » fut exposé au marché de Bab-Azoun. Enfin, pour célébrer cette « grande victoire », le commissaire de police de la ville d’Alger ordonna à la population indigène d’illuminer la ville « en signe de réjouissance. »
Si cela ne ressemble pas à la tragédie d’Ouradour-sur-Glane, commise sous le prétexte de représailles contre la résistance, alors c’est que les vies ne se valent pas, selon que les victimes sont blanches ou basanées.
En 1846, un village, à moins de 30 km d’El Ouffia, reçut le nom de Rovigo. Le nom du duc est honoré sur l’un des piliers de l’Arc-de-Triomphe. Mais il y eut pire.

L’enfumade de Dahra, juin 1845


« Enfumer », signifie contraindre des populations à se réfugier dans des endroits isolés, en l’occurrence des grottes, puis les brûler et / ou les asphyxier.
Le général Aimable Pélissier, commandant de la subdivision de Mostaganem, était à la poursuite des tribus insurgées. Bugeaud lui adressa une phrase terrifiante : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbeahs ; fumez-les à outrance, comme des renards »
En possession de ce blanc-seing, Pélissier passa à l’acte. Sa colonne possédait une supériorité écrasante : 2 254 soldats bien armés, disciplinés, encadrés. Les 18, 19 et 20 juin 1845, sa colonne fit le vide devant elle en brûlant habitations, récoltes, champs et vergers de la région. Face à cette avancée, les combattants et les populations (leurs familles) se replièrent vers les grottes du Frechich, qu’ils connaissaient bien. Pélissier a lui-même raconté la suite : « Je n’eus plus qu’à suivre la marche que vous m’aviez indiquée, je fis faire une masse de fagots et après beaucoup d’efforts un foyer fut allumé et entretenu à l’entrée supérieure. […] À trois heures, l’incendie commença sur tous les points et jusqu’à une heure avant le jour le feu fut entretenu tant bien que mal afin de bien saisir ceux qui pourraient tenter de se soustraire par la fuite à la soumission ». Mais contrairement à Oradour-sur-Glane, il y eut un témoin : un observateur étranger, un officier espagnol, qui assista à la scène et envoya son témoignage au quotidien madrilène, très lu, Heraldo. Ce texte, repris par la presse française à partir du 12 juillet, fit scandale : « À l’entrée se trouvaient des animaux morts, déjà on putréfaction, et enveloppés de couvertures de laine qui brûlaient encore. On arrivait à la porte par une traînée de cendre et de poussière d’un pied de haut, et de là nous pénétrâmes dans une grande cavité de trente pas environ. Rien ne pourrait donner une idée de l’horrible spectacle que présentait la caverne. Tous les cadavres étaient nus, dans des positions qui indiquaient les convulsions qu’ils avaient dû éprouver avant d’expirer. Le sang leur sortait par la bouche. Mais ce qui causait le plus d’horreur, c’était de voir des enfants à la mamelle gisant au milieu des débris de moutons des sacs de fèves, etc. On voyait aussi des vases de terre qui avaient contenu de l’eau, des caisses, des papiers et un grand nombre d’effets. »
Les odeurs pestilentielles étaient si insupportables, précisa-t-il encore, que les soldats durent se déplacer « d’une demi-lieue » (de l’ordre de 2 kilomètres) pour pouvoir respirer normalement. Le terrain était libre pour « les corbeaux et les vautours […] que, de notre campement, nous voyions emporter d’énormes débris humains ».  
Au total, combien y eut-il de victimes ? Pélissier, dans son rapport, avança une estimation : « plus de cinq cents ». L’officier espagnol contesta ce chiffre : « Le nombre des cadavres s’élevait de 800 à 1 000 ».
Si la société française fut un temps secouée, l’affaire n’eut pas de suite judiciaire, on trouva même des excuses aux coupables. À la guerre comme à la guerre…
Cet épisode fut en réalité noyé dans la masse des exactions commises par l’armée française, du début à la fin de la colonisation.

Mais il y eut pire : Le dimanche 16 mars, France 5 diffusera, dans le cadre de sa série « La case du siècle », un documentaire de la réalisatrice Claire Billet, « Algérie, section armes spéciales », qui démontre l’utilisation par l’armée française d’armes chimiques pendant la guerre d’Algérie.

Le nazisme est issu du colonialisme

Comme le rappelle Edwy Plenel, « le nazisme est issu du colonialisme. Les principaux responsable des crimes nazis au sein de la Wehrmacht avaient participé aux crimes coloniaux en Namibie et dans d’autres colonies allemandes en Afrique. Des crimes de guerre. Le laboratoire des crimes européens a été la colonisation ».

L’un des criminels français les plus sanglants fut Armand Jacques Leroy de Saint-Arnaud, qui devait finir maréchal de France. Il consigna minutieusement ses faits d’armes. En mai 1841, il écrit : « Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la flamme à la main. » . Plus loin : « Mascara, ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et importante. Brulée en partie et saccagée par le maréchal Clauzel en 1835. ». En avril 1842, il note :
« Nous sommes dans le centre des montagnes entre Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux. […] Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les villages et les habitants sont très rapprochés. Nous avons tout brûlé, tout détruit… On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. « Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit ! C’était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » Saint-Arnaud devint ministre de la guerre de 1851 à 1854.

Faire taire ceux qui parlent vrai


Des centaines d’Oradour-sur-Glane ? Oui, bien sûr. Sauf que le massacre perpétré par la division Das Reich continue à susciter l’indignation, alors qu’on trouve toujours des excuses à l’armée française. Comme le remarque encore Edwy Penel « quand vous vous mettez dans la tête que vous êtes une civilisation supérieure, vous vous barbarisez »

Rappelons ce qu’Aimé Césaire écrivait dans son « Discours sur le colonialisme » à propos du « bourgeois du XXe siècle » : « Au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, c’est d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique ». Aujourd’hui, Aimé Césaire serait probablement interdit d’antenne.

Jean-Michel Aphatie, quant à lui, a décidé de ne plus revenir sur RTL. Il vient d’en donner la raison : « J’attache un prix particulier à la question de la présence française en Algérie entre 1830 et 1962. Je ne suis pas concerné personnellement. Ni mon père, ni mes oncles, ni d’autres membres de ma famille n’ont participé à la guerre d’Algérie. Je n’ai pas non plus de connexions ou de liens avec des Français rapatriés de ce pays. J’ai découvert cette histoire de manière banale. Je me suis intéressé, voilà déjà longtemps, aux conditions du retour au pouvoir du général de Gaulle, en mai 1958. La question du maintien de l’Algérie dans la France était au cœur de la crise politique. Je me suis alors demandé ce qu’était cette situation, quelle était la nature de la présence française et aussi celle de la cohabitation des communautés sur ce territoire.

Ce que j’ai lu dans les livres écrits par des historiens méticuleux m’a horrifié. Les massacres de musulmans se sont succédés tout au long des 132 ans d’occupation. Un statut dit d’indigénat, appliqué à partir de 1881, a privé les premiers occupants de l’espace de tous droits et leur a imposé des servitudes archaïques et injustes. Chassés des terres les plus riches, ils ont végété dans l’extrême pauvreté. La scolarisation des enfants a été parcimonieuse. Tout ceci dresse un tableau indigne de la France au regard des valeurs d’humanité qui font sa réputation dans le monde.

J’ai vécu comme une injustice maintenue l’absence de reconnaissance officielle par le colonisateur des traitements dégradants infligés à cette population. Les propos que je tiens sur ce sujet depuis des années sont liés à ce sentiment. Pour cette raison, et pour cette raison seulement, je ne peux pas accepter d’être puni pour les avoir répétés. »
. Il termine son papier par la phrase « Étonnant, non ? », que Pierre Desproges plaçait à la fin de ses chroniques. Une époque révolue où le mot « liberté d’expression » avait un sens. Aujourd’hui, Desproges aussi n’aurait pas le droit d’exprimer son humour.

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