ISLAMOPHOBIE, VIOLENCES POLICIÈRES, ABSTENTION : RIEN NE VA PLUS DANS LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE

PAR JEAN-MICHEL BRUN

Dimanche 20 juin, la démocratie française a battu un record : Près de 67% d’abstention en moyenne, près de 80% dans certains départements. Les politiciens désemparés – l’abstention pouvant remettre en cause leur légitimité – se sont empressés de trouver des raisons au désastre : la peur du Covid, le beau temps, « on devrait essayer des systèmes de vote innovants, par le smartphone »… bref, c’est la faute à tout, sauf à eux. Sauf que ce sont surtout les jeunes qui n’ont pas voté, et cela devrait bien faire réfléchir nos politiciens. Ce n’est en tout cas sûrement pas les engueuler, comme l’ont fait certains candidats d’extrême droite, qui va les pousser vers les urnes !

Car quelque chose a changé en profondeur par rapport aux abstentions précédentes. L’abstention est devenu, non plus une négligence, ou une indifférence, un « A quoi ça sert de voter ? », mais un acte volontaire, un geste politique. Pour les nouveaux électeurs, le vote blanc ou nul ne suffit pas. Celui-ci n’exprime que le refus des candidats en présence. Là, c’est toute la légitimité du scrutin, et donc de notre système démocratique en entier, qui est remise en question.
« J’avais voté contre les Le Pen lorsqu’ils étaient trouvés face à Chirac et Macron » nous dit un cadre, qui, pourtant s’estime très loin du mouvement des gilets jaunes « Mais cette fois, je n’irai pas aux urnes. Non pas seulement parce que les candidats ne me conviennent pas. Mais parce que c’est l’ensemble de la classe politique que je juge illégitime pour me représenter »

« Pourquoi élire des gens qui nous mentent ? qui font le contraire de ce qu’ils ont promis ? Regardez, jamais la France n’a été autant divisée. Sauf peut-être pendant l’occupation » nous explique Christian, 34 ans, « Les politiques montent les Français les uns contre les autres, jouent sur la peur du voisin, de l’étranger, de la personne qui s’habille de telle ou telle façon, tout ça pour nous faire croire que nous avons besoin d’eux pour nous protéger»

Choukri, « startuper » de 25 ans est tout aussi désabusé : « Ils ne pensent qu’à une chose : se faire élire. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’on ne vote pas pour eux. On vote pour nous. Pour avoir une vie meilleure, être plus libres, pour que tout le monde ait les même chances de réussir et de s’accomplir ».

La xénophobie se vend comme des petits pains.

De fait, la politique est devenue une affaire de marketing. Et ce qui est vendeur aujourd’hui – ou du moins ce qu’ils croient être vendeur, car les faits viennent de leur apporter un cinglant démenti, c’est l’ennemi de l’intérieur, celui qui abuse de la bienveillance de son hôte, qui mord la main qui le nourrit, l’alien envahisseur. Et qui est le meilleur candidat pour ce rôle de croquemitaine ? Le musulman bien sûr ! La xénophobie se vend comme des petits pains.

Cela est devenu si délirant que, alors que certains bureaux de votes sont restés fermés une partie de la journée faute de trouver un président ou des assesseurs, on a préféré virer une présidente de bureau sou prétexte qu’elle portait un foulard. Autrement dit, le civisme et l’exercice de la démocratie pèsent moins que la chasse aux sorcières musulmanes.

L’histoire mérite d’être contée.

Rachida Kabbouri est élue EELV  à Vitry-sur-Seine, et – ô abomination – elle est musulmane. Ce jour d’élections, elle préside son bureau de vote, son fichu sur la tête, comme à l’accoutumée. Alors, de braves citoyens, horrifiés par ce tissu assassin, la traitent d’islamiste. Car s’il n’est pas correct d’insulter pas son voisin, viser musulman semble constituer une dispense à l’obligation de bienséance. Illico, « Tous ces gens bien intentionnés » comme disait Georges Brassens, sont allés se plaindre à la Préfecture – la délation était une vieille coutume nationale – laquelle fait permuter Rachida de son poste de présidente à celui d’assesseur.
Pierre Bell-Lloch, le maire PCF de Vitry, s’est excusé auprès d’elle pour cette « aberration » : « Nous nous étions posé  la question mais nous n’avions pas eu la même
interprétation que la préfecture. La situation a beaucoup ému Madame
Kabbouri, c’était dur pour elle. Je salue son esprit républicain car elle a accepté de permuter de rôle et n’a rien dit. » 

Car Madame Kabbouri est une femme fortement engagée dans la vie citoyenne, syndicaliste,  élue dans de nombreuses instances démocratiques, présidente d’une association qui lutte pour l’égalité  femme-homme, et combat les discriminations et les violences faites aux femmes… Bref, une dangereuse islamiste.

Mais que dit la loi ? Qu’en tant que représentant de l’Etat, le président du bureau de vote doit respecter le principe de neutralité et ne pas porter de signes religieux ostensibles. Ce n’est en revanche pas le cas des assesseurs, qui sont désignés par les candidats. Un détail qui a fait s’étrangler l’ineffable candidat RN Jordan Bardella, après s’être retrouvé face une assesseure voilée à Saint-Denis. Le pauvre homme n’ayant eu d’autre choix que de faire partager sa détresse sur les réseaux sociaux.
Fort bien. Donc, pas de croix, de Magen David, de nom d’Allah en pendentif, etc… Mais depuis quand le port du foulard est-il un signe religieux ostensible ? Les femmes portent des foulard en France depuis la nuit des temps. En fait toutes les femmes ont droit de porter le foulard, tous les hommes peuvent arborer une barbe… dès l’instant où il ne sont pas musulmans. Car à ce moment là, ce qui n’est au départ qu’un simple accessoire de mode ou un développement du système pileux, devient de facto un signe religieux. Mais alors, cela suppose que l’Etat s’interroge d’abord sur la religion de l’intéressé. Ce qui lui est formellement interdit.
La décision de la Préfecture est simplement une décision politique, et une absurdité anti-démocratique.

Le plus drôle – dans la mesure où une tragédie peut faire sourire – son voisin assesseur portait un béret basque. « J’aurais préféré échanger mon foulard avec le béret de mon gentil collègue assesseur plutôt que de permuter nos postes. Mais là encore j’aurais été critiqué » pour avoir couvert mes cheveux sauf si la loi me permet de porter un bonnet ! »

Les français issus de la diversité sont les grands absents sur la scène politique

Comme le regrette Rachida Kabbouri, « Les Français issus de la diversité  resteront toujours les larbins de service ! »  

« Je suis une simple citoyenne que l’on a appelé à tenir un bureau et participer à un devoir citoyen que chaque français devrait faire au moins une fois dans sa vie »  rappelle Rachida, « j’ai bien retenu mes cours d’éducation civique qui ont disparu à l’école !» 

« Le maire était très embarrassé, ce que je peux comprendre car on ne comprend plus rien aux lois de la République, qui sont retoquées au gré des décisions de politiciens, souvent déconnectés du terrain, et de plus en plus détestés par les électeurs qui ne votent plus ! De quoi s’interroger aux prochaines présidentielles!
Ce jour-là , la loi ne m’a pas protégé , elle m’a humilié alors que la personne qui a déversé sa haine sur moi est parti sans être inquiété !
C’est ma faute d’être musulmane ! J’ai qu’à changer de religion si je ne veux pas être traité d’islamiste intégriste !
Si ce n’est pas une humiliation en public alors je ne sais pas ce que c’est ! Des remerciements pour avoir réservé mon dimanche pour l’exercice d’un devoir citoyen ? J’avais même apporté du thé et des gâteaux pour motiver les troupes pour tenir de 8:00 à 22:00 le bureau !
Les français issus de la diversité sont les grands absents sur la scène politique car il n’en connaissent pas les enjeux : « celui d’écrire ensemble l’histoire de notre Nation comme l’on déjà fait nos grands-pères lors des grandes guerres ! »
Ma situation a ému beaucoup de français y compris l’ensemble des personnes qui tenaient le bureau avec moi. Ils ont partagé mon malaise et sans leur soutien j’allais m’effondrer en larmes… j’ai ressenti un profond sentiment d’injustice et d’exclusion. Je me suis sentie étrangère dans mon propre pays où je m’investis dans le monde associatif et syndical et dans plusieurs instances de l’Etat ! »
« Je reste debout prête au combat pour un monde meilleur, plus fraternel et solidaire et aussi pour une écologique populaire et inclusive afin que mes enfants ne me reprochent pas un jour d’avoir baisser les bras. Ce qui ne vous tue pas vous renforce ! »
Conclut Rachida Kabbour

L’absurdité de cette situation se lit dans les chiffres : alors qu’une citoyenne engagée dans son devoir républicain est vouée aux gémonies, le bureau de vote an question a connu une abstention de 80%.

Deux mondes parallèles

Lorsqu’ainsi les priorités sont inversées, il ne faut pas s’étonner que les électeurs désertent les urnes. A l’annonce de la présence de candidats de l’Union des Démocrates Musulmans Français, les aboyeurs de la haine anti-musulmane hurlaient au vote communautariste. Tristes imbéciles qui n’ont pas compris que le danger ne venait pas du fait que les musulmans souhaitent défendre leurs droits de citoyens, mais du fait que la grande communauté des électeurs méprisés ne veulent plus de ces gens qui prétendent les représenter et de ce système qui leur permet de le faire.

Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes, abstentionnistes massifs, ne s’interessent plus à la politique. Pour eux, l’action ne passe plus par les urnes, mais par le terrain : les associations, les réseaux sociaux, la rue.

Votez, nous ferons le restee

Les gilets jaunes avaient donné le la. Beaucoup s’étaient méfiés, à juste titre, de ce mouvement hétéroclite, parfois raciste, dont le seul point commun entre les membres était la colère. Mais après le confinement, il semble que la rue ait repris le dessus. Non pas pour l’investir, mais pour prendre à la lettre le mot d’ordre « Restez chez vous » !

Pour le gouvernement, le danger est bien là. Et peut-être l’est-il, dans la mesure où la défiance à l’égard du processus démocratique conduit inévitablement au populisme. Et du populisme à la dictature, la frontière est poreuse. Proudhon avertissait : « La démocratie directe est la forme la plus élaborée de la dictature ». Tel est le risque, si la rue prend la place du parlement. Et pourtant, là encore, le gouvernement, aveugle aux faits et sourd aux cris, se trompe. Incapable de faire revenir la jeunesse vers les urnes, il cherche à les empêcher de s’exprimer ailleurs. En encourageant, ou en excusant, les violences policières, il ne fait qu’accroître encore la faille qui finira par entraîner un tremblement de terre qui l’emportera. François Bonnet, dans Mediapart ,notait à juste titre, à l’occasion de la Fête de la Musique, comment « la Présidence de la République avait organisé deux mondes parallèles , parfaitement étanches, ne cohabitant que par la violence sociale et policière ».

En tous cas, les Français, et la jeunesse en particulier ne se reconnaissent plus dans la France hautaine , raciste et inégalitaire qu’on essaie de leur vendre.

Il est encore temps de renverser la vapeur. C’est au Président de la République lui-même de sortir de sa tour d’ivoire, d’éliminer de son entourage les cafards haineux qui le poussent à séparer les Français les uns des autres, et créer le chaos. En Islam, cela s’appelle la « fitna ». Et si Emmanuel Macron prenait le temps de lire un peu le Coran ? Mais je délire. Je ne voudrais pas inspirer un nouveau roman à Michel Houellebecq…

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