ÉCOLE : QUAND LAÏCITÉ RIMAIT AVEC LIBERTÉ

En ouvrant le carnet de correspondance d’un élève de collège, je découvre que la première page est toute entière consacrée à la « Charte de la laïcité ». Il y est suggéré, en substance, que la religion n’a pas sa place à l’école, et qu’elle doit rester confinée – elle aussi – dans le strict cadre familial.

Il y est dit que « La Nation confie à l’École la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République »

Sauf que les dites valeurs semblent fluctuer au fil du temps, et de la politique…

En effet, à l’occasion d’un déménagement, je retrouve un carnet de correspondance du Lycée Michelet datant de 1963. Nous sommes alors sous la présidence du Général de Gaulle, dont on ne saurait contester l’esprit républicain .

Le Lycée Michelet était alors – et est encore sans doute – l’un des plus beaux lycées de France. Construit autour d’un pavillon de chasse du XVIIe siècle dessiné par Mansart, doté d’un magnifique parc, ses classes ont accueilli un grand nombre de futures célébrités :

Victor Hugo, les académiciens Maurice Druon, René Huyghe, Émile Picard, Maxime Weygand, l’ humoriste Francis Blanche, les peintres Pierre Bonnard et Robert Delaunay, l’industriel Francis Bouygues, le chanteur Serge Lama, les ministres Albin Chalandon, Jean Glavany, Gaston Palewski, les présidents de la République Paul Deschanel, Alexandre Millerand.

Jean-Claude Chermann, co-découvreur du virus du SIDA, le prix Nobel Jean Dausset, le réalisateur Serge Moati, l’acteur Maurice Ronet y ont fait leurs études, sans compter
André Truong Trong Thi, créateur du premier micro-ordinateur au monde en 1973, Jean-Michel Jarre, et Georges Méliès.

Mes propres copains de classe s’appelaient Emmanuel et Maximilien Berque, les futurs jumeaux explorateurs, fils de l’islamologue Jacques Berque.

Que du beau monde, fierté de notre République.

Or voici ce qu’on y lit, en première page : un chapitre intitulé « RELIGION »

Et en effet, en 1963, la Cour d’Honneur, c’est à dire l’espace sur lequel s’ouvraient les bureaux de l’administration et celui du Proviseur, le coeur de l’établissement, était entourée des aumôneries catholiques, protestantes, juives. L’absence d’élèves musulmans, car la France ne comptait encore que des arabes de la première génération explique seule l’absence d’aumônerie musulmane. Une magnifique Chapelle du 19ème siècle abritait des messes et les cérémonies de confirmation et de communion. Elle avait même reçu jadis le futur Pape Jean XXIII alors qu’il était encore Nonce à Paris.


Les élèves catholiques avaient le droit de manquer la classe lors des retraites spirituelles, et chaque aumônerie recevait régulièrement les pratiquants des autres religions. Il n’y a jamais eu, pendant toute cette époque, le moindre conflit religieux, et chacun, croyant ou non, s’exerçait avec bonheur à mieux connaitre l’autre.

On apprenait aux élèves, non de vagues « valeurs de la République » mais à bien se conduire, à respecter ses professeurs, ses parents, ses camarades. On y valorisait l’effort, le travail.

Aujourd’hui, la chapelle a été désacralisée et sert de salle d’examens, les aumôneries ont disparu, et avec elles l’esprit si particulier qui faisait de Michelet, non seulement un centre d’enseignement mais un lieu d’éducation.

Ne soyons pas naïfs, tous ces beaux discours sur la laïcité ne sont qu’un prétexte pour tenter de rendre les musulmans invisibles, quitte à faire des autres religions des victimes collatérales.
La « nouvelle laïcité » a été le fruit des attentats du 11 septembre 2001, sur lequel le très écouté Régis Debray surfant illico en affirmant « les religions n’ont pas leur place dans l’école. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait un enseignement laïque des religions ».

En définitive, qu’est-ce que la République a gagné avec l’éviction de la liberté religieuse chère à Michelet ?
En quoi le spirituel est-il un obstacle à l’éducation ?
Bien au contraire, en diffusant ses valeurs de respect, de d’honnêteté, de valorisation du travail et de la connaissance, l’enseignement religieux était un magnifique soutien au travail des enseignants.

Il y a d’ailleurs une autre différence fondamentale entre l’école, le collège ou le lycée tels qu’on les conçoit aujourd’hui. Regardez bien : on y parle d’éducation. En rappelant que la bonne tenue des élèves ne s’arrête pas aux portes de l’établissement. Aujourd’hui, les professeurs vous diront qu’ils sont là pour enseigner et non pour éduquer. Telle était pourtant la mission égalitaire que s’assignait l’école laïque : assurer la bonne éducation des enfants, quel que soit leur milieu d’origine, et faire en sorte qu’ils aient les mêmes chances que les enfants de familles plus favorisées.

Mais c’était à l’époque où Laïcité rimait avec Liberté…

Jean-Michel Brun

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