DE PÉCRESSE À LE DRIAN: L’ÉTAT DE DROIT… QUAND ÇA NOUS ARRANGE

Par Jean-Michel Brun

Ce 18 janvier, le député Eric Ciotti, porte-parole de la candidate aux présidentielles Valérie Pécresse, interpelle à l’Assemblée Nationale le Ministre des Affaires Étrangères sur des menaces que le Président de la République d’Azerbaïdjan aurait proférées à l’encontre de Valérie Pécresse à l’occasion de sa visite au Karabakh.

Jean-Yves le Drian répond : « Le ministre des affaires étrangères que je suis, peut d’ores et déjà vous dire que les propos tenus par le Président Aliyev, s’agissant d’une élue de la république, qui plus est une candidate aux élections présidentielles sont inacceptables sur la forme et sur le fond. Je l’ai fait savoir avec fermeté à l’ambassadeur de l’Azerbaïdjan en France. Et il le sait. […] Si je peux me permettre une remarque, Monsieur Ciotti. On se connait depuis longtemps, je trouve par ailleurs regrettable que ce déplacement n’ai fait l’objet d’aucune information à l’égard des autorités de la république. […]En République, si je peux me permettre l’expression, ce n’est pas convenable. »

Qu’est-ce qui n’est pas réellement « convenable » ?

Petit rappel des faits : le 22 décembre 2021, Valérie Pécresse, en visite à Erevan dans le cadre de son soutien à l’Arménie, se rend dans la région de Karabakh, internationalement reconnue comme une partie de la République d’Azerbaïdjan, en compagnie de deux autres parlementaires français, sans en demander l’autorisation aux autorités azerbaïdjanaises, en prétextant que cette région serait celle de la République autoproclamée de « l’Artsakh ».

Or, le Haut-Karabakh n’est pas, et n’a jamais été arménien. Le fait que les forces de la paix russes y stationnent temporairement n’y change rien : cette région se trouve à l’intérieur de l’Azerbaïdjan, et la soi-disant république d’Artsakh n’a jamais existé, et n’a été reconnue par personne, ni par la France… ni par l’Arménie !

Madame Pécresse s’est donc rendue clandestinement en Azerbaïdjan, alors qu’il est d’usage – c’est le moins que l’on puisse dire – lorsque l’on se rend dans un pays, de passer par la frontière, de présenter un passeport, et de demander un visa. Toutes les nations du monde, la France y compris, adoptent cette même règle, qui s’applique à tous les citoyens. Et comme dans n’importe quel pays, et pour n’importe quel individu, le fait de traverser illégalement les frontières est passible de détention.

Le Président Aliyev n’a rien dit d’autre lorsqu’il déclarait : « Si nous avions été au courant de la dernière visite illégale de Valérie Pécresse, nous ne l’aurions pas laissée repartir ».

Une « menace », un « appel à la haine » ? Plutôt un avertissement et rappel à la loi. Si l’inverse s’était produit, on peut même imaginer que les autorités françaises auraient réagi avec encore plus de fermeté.
Mais Madame Pécresse pense peut-être que le simple fait de se déclarer candidate aux présidentielles la gratifie d’un passe-partout.

C’est au contraire cette transgression des lois internationales qui n’est pas « convenable ». De même qu’il n’est pas « convenable » pour une prétendante à la présidence de la République française de manifester ouvertement son favoritisme à l’égard de l’une des parties du conflit, alors que la France, arbitre de ce conflit par sa position de co-présidente du groupe de Minsk, est tenue à la neutralité la plus stricte.

Il n’est pas non plus « convenable », pour quelqu’un qui vise la magistrature suprême, de s’affranchir ainsi de l’Etat de Droit, tel qu’il fut d’ailleurs défini par le Président Macron lui même lors de son discours inaugural à la présidence du Conseil de l’Europe : [L’Etat de Droit c’est ] « le rejet du recours à la force, à la menace, à la coercition, le choix libre pour les Etats de participer aux organisations, aux alliances, aux arrangements de sécurité de leur choix, l’inviolabilité des frontières, l’intégrité territoriale des Etats ». « La fin de l’État de droit, c’est le règne de l’arbitraire » avait-il conclu.

Un ministre des affaires étrangères ne devrait pas dire cela

Est-ce le rôle d’un ministre des affaires étrangères de légitimer publiquement l’attitude d’une élue qui a violé en même temps la loi azerbaïdjanaise, la loi française, les engagements bilatéraux et les règlements de l’Union Européenne qui interdisent explicitement toutes actions compromettant ou menaçant l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays ?

Un ministre des affaires étrangères ne devrait-il pas faire remarquer au député Ciotti que la France et ses représentants ont le devoir de se conformer aux disposition du Conseil de sécurité de l’ONU dont elle est membre ?

La France, aurait-il pu lui rappeler, a voté pour l’adoption des résolutions 822, 853, 874 et 884 du Conseil, lesquelles confirment que la région du Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan et réaffirment également le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et de l’inviolabilité de ses frontières internationalement reconnues.

C’était aussi sans doute le rôle d’un ministre des affaires étrangères de défendre les engagements bilatéraux de la France, qui est précisément liée à l’Azerbaïdjan depuis 1993 par un « Traite d’amitié, d’entente et de coopération » aux termes duquel les deux pays ont décidé « d’unir leurs efforts en vue d’assurer la sécurité internationale, de prévenir les conflits et de garantir la primauté du droit international dans les relations entre Etats, respectant le principe de l’inviolabilité des frontières».

« Les propos tenus par le Président Aliyev, s’agissant d’une élue de la république, qui plus est une candidate aux élections présidentielles sont inacceptables sur la forme et sur le fond. Je l’ai fait savoir avec fermeté à l’ambassadeur de l’Azerbaïdjan en France. Et il le sait »

Selon l’Ambassade d’Azerbaïdjan que nous avons contactée, l’ambassadeur, Monsieur Rahman Mustafayev, n’a jamais reçu de messages de cette sorte. Le seul échange téléphonique entre le Quai d’Orsay et l’ambassade a eu lieu avant l’incident et a été, selon l’expression même de l’ambassade, « amicale et constructive, sans la moindre évocation d’une quelconque “inacceptabilité”. »

Véritablement, un ministre des affaires étrangères ne devrait pas dire cela

L’incohérence d’un parti-pris

Pendant la diffusion par la chaîne publique LCP, un bandeau explicatif indiquait : « Avant Noël, Valérie Pécresse s’est rendue en Arménie, dans le Haut-Karabakh, notamment pour apporter son soutien aux chrétiens d’Orient ».

L’ambigüité de cette phrase n’a échappé à personne, puisqu’elle peut être interprétée comme l’affirmation que le Haut-Karabakh se situe en Arménie. Quant au soutien aux Chrétiens d’Orient, grand leitmotiv de la droite française, elle est aussi le fruit de ce parti-pris qui n’hésite plus à travestir la réalité. Prétendre que soutenir un Karabakh arménien, c’est défendre les chrétiens d’orient est un peu fort de café lorsqu’on voit ce que l’Église arménienne, secte dissidente du christianisme oriental, a fait aux églises chrétiennes non arméniennes du Karabakh.

Lire notre article « Comment les églises chrétiennes du Krabakh ont été détruites par les séparatistes arméniens »

Ne soyons pas naïfs. Cette bronca contre l’Azerbaïdjan s’inscrit exactement dans le délire paranoïaque de la droite française, et d’Eric Ciotti en particulier qui voit de la menace islamiste partout : « L’islamisme avance ses pions, conquiert des territoires et des âmes, partout en France parfois avec le concours et la complaisance d’élus de la République » prévenait-il, sans rire, il y a quelques jours.

Que l’Azerbaïdjan soit un pays laïque, que l’Etat arménien soit un État religieux qui s’en prend aux églises non arméniennes comme aux mosquées n’y change rien. Ces nouveaux héraults de la « Reconquista » selon les termes d’Eric Zemmour vont finir par mettre la France dans un sacré pétrin.

Rappelons-nous que la « Reconquista » d’Isabelle la Catholique avait provoqué la fuite des grands esprits de la communauté juive vers l’empire de Soleiman le Magnifique (tiens… un turc !).

Cette incohérence dans la position d’une partie de la classe politique et de la presse française, on aurait pu imaginer que c’était de la responsabilité du ministre des affaires étrangères de la France de la souligner et de la combattre.

C’est semble-t-il, le contraire qui a été fait, et cela est bien regrettable.

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