UNE FRANÇAISE NOMMÉE COORDINATRICE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE À LA COMMISSION EUROPÉENNE. LA FRANCE FAIT SUPPRIMER LE MOT « ISLAMOPHOBIE »

Par Jean-Michel Brun

Marion Lalisse

Le poste était resté vacant depuis juillet 2021. Cette fois, c’est fait, c’est une française, Marion Lalisse, qui vient d’être nommée, ce 1er février, par la Commission Européenne.

Elle travaillera « avec les États membres, les institutions européennes, la société civile et le milieu universitaire pour renforcer les réponses politiques dans le domaine de la haine antimusulmane », indique la Commission européenne, qui ajoute que « dans son nouveau rôle, la coordinatrice sera le principal point de contact pour les organisations travaillant dans ce domaine dans l’UE ».

Helena Dalli, commissaire à l’Egalité, s’est réjoui de cette nomination. La coordinatrice, précise-t-elle, « veillera à ce que des mesures soient prises pour lutter contre la haine, ainsi que contre la discrimination structurelle et individuelle à l’égard des musulmans. Nous devons combattre la haine contre les musulmans dans tous les domaines, notamment dans le cadre de l’éducation, de l’emploi et de la politique sociale. Nous devons également recueillir les données concernant tous les cas de haine contre les musulmans et de discrimination à l’égard des musulmans, surveiller et combattre toute manifestation de ce type.»

 Marion Lalisse, qui s’est déclarée « honorée » par cette nomination sur « un sujet important qui nécessite nos efforts et notre engagement conjoints », est diplômée de la School of Oriental and African Studies (Université de Londres), du Collège d’Europe et de l’Université de Toulouse-Mirail. Elle a été chargée d’affaire par interim et ambassadrice adjointe de l’UE au Yémen, et a occupé diverses fonctions dans les délégations de l’UE au Ghana, en Mauritanie, au Maroc et dans le cadre du programme d’aide de l’UE en faveur de la communauté chypriote turque. Fonctionnaire expérimentée de l’Union européenne, elle a travaillé en étroite collaboration avec un large éventail d’organisations de la société civile au sein de l’UE et dans le monde musulman.

La France refuse le mot « islamophobie » et le fait remplacer par « Lutte contre la haine anti-musulmane »

Même si le France a voté en faveur de cette nomination, elle s’est insurgée contre l’emploi du mot « islamophobie » qui, selon elle, la vise directement.

Selon l’Organisation de coopération islamique (OCI), l’islamophobie a continué de progresser en Europe. Dans son rapport publié en mars 2022, la plupart des démonstrations de haine envers les musulmans ont été enregistrés en France alors que ce pays abrite le plus grand nombre de musulmans en Europe. Dans une résolution adoptée en octobre 2022, le Conseil de l’Europe. s’est d’ailleurs ému de cette évolution, en soulignant le besoin de s’attaquer au phénomène de toute urgence et a condamné « l’utilisation de discours islamophobes en public et dans les interventions politiques, en particulier de la part des mouvements populistes et d’extrême droite. »

La France se trouve actuellement sous le feu des critiques de l’opinion et de la presse internationale qui l’accusent précisément d’islamophobie en raison d’une série de décisions visant à lutter contre un prétendu « séparatisme» qui a conduit le gouvernement à fermer des mosquées, des écoles, et des organisations comme le CCIF, ou encore à dissoudre l’Observatoire de la laïcité, pourtant dirigé par le très républicain et ancien ministre Jean-Louis Blanco.

Le chercheur Rayan Freschi relève dans Middle East Eye que « La France a progressivement institutionnalisé l’islamophobie par l’adoption de lois et politiques qui restreignent la capacité des musulmans à pratiquer librement leur foi. La présidence d’Emmanuel Macron a franchi un pas de plus en persécutant délibérément les musulmans – persécution que la France refuse d’admettre », ajoutant que « La France est donc un État islamophobe qui ne peut que s’opposer à l’instauration d’une journée internationale qui l’inciterait à rendre des comptes pour son islamophobie. »

En fait, le mot « islamophobie » fait peur au gouvernement français et à la droite du pays car il est souvent associé à l’idée d’islamophobie d’État, qui suggèrerait que la politique de la France serait guidée par des intentions racistes. Certains plaident pour l’abandon de ce mot car, selon eux, le suffixe « phobie », dérivé du grec ancien phobos, signifiant peur, crainte, terreur, est mal adapté. Une critique que l’on entend pas proférée pourtant à propos du mot « xénophobie », et qui est néanmoins reprise par Caroline Fourest, qui ne voit par ailleurs aucune malice à utiliser, dans ses combats personnels, l’expression « homophobie ».

Cette crainte que la politique française ne soit directement mise en cause, avait, de la même manière, aboutit au refus de la France de s’associer à la « Journée internationale de lutte contre l’islamophobie » décrétée par l’Assemblée générale des Nations unies la 15 mars 2022 à l’initiative du Pakistan et soutenue par l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Le représentant à l’ONU Nicolas de Rivière, avait justifié ce refus de la France par l’utilisation du terme « islamophobie » : « Cette formule laisse penser que c’est la religion qui est protégée en tant que telle, et non les croyants . Or, c’est bien la liberté de croire, de ne pas croire ou le droit de changer de religion que nous devons promouvoir. » avait-il affirmé, ajoutant que « la résolution ne répond pas à la préoccupation, que nous partageons tous, de lutter contre toutes les formes de discriminations car elle segmente la lutte contre l’intolérance religieuse, en ne sélectionnant qu’une seule religion à l’exclusion des autres, et en ne faisant pas de référence à la liberté de croire ou de ne pas croire ». Il concluait qu’il convenait de « rendre le texte plus universel en le recentrant sur la liberté de religion ou de conviction et sur la lutte contre les discriminations affectant les individus ». Autrement dit, la haine anti-musulmane ne serait pas un phénomène en soi qu’il convient de traiter en tant que tel, mais une partie d’un réflexe anti-religieux plus global. Pourtant, les actes islamophobes s’accroissent de plus de 50% en France chaque année.

Une façon, en quelque sorte, de nier le fait en refusant le mot qui le désigne.

La France a donc demandé que le terme « islamophobie» soit retiré. En vue d’atteindre le consensus, la Commission Européenne a donc modifié le titre de Marion Lalisse, qui devient désormais « Coordinatrice pour la lutte contre la haine contre les musulmans », une formule qui sous-entend que les actes anti-musulmans sont des actes isolés et non le fruit d’une politique d’État.

Cette pirouette sémantique n’a naturellement pas dissuadé la droite française de justifier à demi-mot l’islamophobie. Après le « Je suis un islamophobe à temps partiel » de Michel Houellebecq, voici qu’Atlantico publie, à propos de la nomination de la coordinatrice, sous le titre « Comment écrit-on Bruxelles en Arabe  ?», un article où il affirme : « A notre connaissance, les islamophobes européens ne tuent et n’égorgent personne. ». Cela ne vaut pas la peine de commenter cette prose nauséabonde. Comme le disait Pierre Mendès-France : « Le racisme ne se discute pas, il se combat ».

Il faut bien se rendre à l’évidence, les mouvements anti-racistes ne pourront compter que sur eux-mêmes.

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