« CHARTE DES PRINCIPES POUR L’ISLAM DE FRANCE» : LES FOURCHES CAUDINES DE L’ISLAM OFFICIEL

Le Prophète Mohammad (PSL) a dit : إنّما الأعمالُ بالنِّيّاتِ « Les actions ne valent que par les intentions »
Quelles sont donc les intentions réelles des promoteurs et des rédacteurs de la « Charte des principes pour l’Islam de France » et du Conseil National des Imams ? C’est probablement la question qu’il conviendrait de de poser afin d’apprécier la pertinence du projet.

L’accouchement difficile d’un texte controversé

Après plusieurs propositions de textes, controverses, coups d’éclat, le CFCM a finalement publié sa « Charte des principes pour l’islam de France » (voir ci-contre), destinée à être suffisamment consensuelle pour que le gouvernement, initiateur du projet, ne soit pas mis en échec dans ce qu’il considère comme une priorité : organiser l’islam de France et lutter contre le « séparatisme ».

Charte des Principes de l'Islam

Après le faux-départ de la Grande Mosquée de Paris, Emmanuel Macron avait frappé du poing sur la table. Pas question que ce texte, qui revêtait pour lui une importance politique majeure, ne passe à la trappe. Importance politique majeure, car dans sa volonté de conquête des voix de la droite extrême, la signature d’un accord faisant de l’Islam de France un vassal du pouvoir permettrait de clouer le bec de ceux qui lui reprochaient de ne pas en faire assez contre « l’islamisme ». La plupart des membres du CFCM, ainsi que le recteur de la Mosquée de Paris, ne souhaitant pas s’attirer les foudres du Président, dont ils attendaient beaucoup en retour, financièrement notamment, rentrèrent sagement au bercail.

Tous finirent donc par se résigner à passer sous les fourches caudines d’un texte imposé, sauf – pour le moment – trois fédérations, aussitôt accusées d’être des islamistes infiltrés, des empêcheurs de se courber en rond.
« Il est certain qu’on ne regardera pas de la même manière les fédérations signataires et les autres. » prévient Gerald Darmanin.« Ce qu’on leur demande, c’est de reconnaître les valeurs de la République. Si un certain nombre de fédérations le refusent, c’est une vraie question idéologique.
Les fédérations signataires feront donc le ménage dans les institutions représentatives. Et puis les non-signataires n’auront pas accès au Conseil national des imams et elles ne seront pas traitées de la même manière»
. Quant à Marine Le Pen, elle estime que les groupes qui ne signent pas « doivent être dissous et interdits ».

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VOIR CI-DESSOUS LA RÉACTION DES 3 FÉDÉRATIONS NON-SIGNATAIRES

Oui à la Charte des principes du Conseil National des Imams
Communiqué du CCMTF, CIMG France, Foi et Pratique
Paris, le 20/01/2021

Nous, CCMTF, CIMG et Foi & Pratique, rappelons qu’en tant que fédérations composantes du CFCM qui n’ont pas signé la charte, sommes impliquées très activement depuis le début du processus de formation du Conseil National des Imams (CNI) ainsi que dans l’élaboration de sa charte. Nous prenons acte de la présentation de la charte dénommée « Charte des principes de l’Islam de France » au président de la République ce Lundi 18 janvier 2021.
Nous regrettons que cette charte ait été signée d’une part avant d’avoir obtenu l’approbation de toutes les composantes du CFCM – conformément au principe de consensus qui a été respecté au sein de cette institution jusqu’à aujourd’hui – d’autre part sans aucune consultation des imams qui sont les premiers concernés, ni des CRCM et CDCM (conseils régionaux et
départementaux du culte musulman). Nous notons également que la Grande Mosquée de Saint Denis de la Réunion, composante fondatrice du CFCM, ne souhaite pas signer cette charte et ne fera pas partie du futur CNI, se donnant ainsi la possibilité de préserver son mode de fonctionnement actuel.
A cette occasion, nous souhaitons partager publiquement nos positions sur certaines questions soulevées lors du processus de formation de la CNI.
Nous sommes évidemment d’accord avec la demande de non-ingérence des Etats, la non-instrumentalisation des religions et le respect de la Constitution et des principes de la République.
Cependant, nous pensons que certains passages et formulations du texte soumis sont de nature à fragiliser les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation. En outre, certaines déclarations portent atteinte à l’honneur des musulmans, avec un caractère accusatoire et
marginalisant.
Toutefois, nous restons convaincus que la mise en place du CNI sera bénéfique sur la base d’un texte commun permettant aux musulmans de prendre leur juste place au sein de la communauté nationale. La légitimité du CNI dépendra directement de son acceptation par la communauté
musulmane de France.
La réussite du CNI passera inévitablement par la prise en compte de toutes les sensibilités des composantes du CFCM et les contributions des imams. C’est pourquoi l’adhésion à cette charte doit obligatoirement passer par une consultation élargie, démocratique et participative. Afin d’adopter cette charte, nous devons nous reconnaître dans son contenu. Il ne serait pas utile de signer un texte que notre communauté ne peut accepter sereinement.
Nous représentons une communauté religieuse qui adhère à la Constitution et accepte les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont les principes fondateurs de la République.
Nous pensons que la mise en place du CNI par le CFCM et ses fédérations est un premier pas décisif. Il en va de l’intérêt de la communauté musulmane d’avoir des Imams francophones, imprégnés de la culture française et conscients du quotidien des musulmans de France. Nous soutenons les efforts visant à mettre en place le CNI pour mieux expliquer l’Islam au regard du contexte social et promouvoir la cohésion nationale.
Nous agissons avec la confiance, le soutien et la sensibilité de nos coreligionnaires. En tant qu’institutions religieuses toujours ouvertes au dialogue dans un esprit constructif, nous continuerons d’apporter nos contributions aux travaux concernant le CNI.
Nous formons le voeu qu’au sein du CFCM, cette charte rendue publique sera amendée en prenant en compte les contributions de tous. L’avis des CRCM, des mosquées non affiliées aux fédérations et des imams est primordial à la réussite de ce projet.

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Peut être mal conseillé par des « spécialistes » incompétents ou mal intentionnés, Emmanuel Macron a cru pouvoir modeler l’islam, le rendre invisible. A l’instar des Etats-Unis qui, des années durant, prétendirent se faire les gendarmes du monde.

Organiser le culte musulman, mettre de l’ordre dans la formation des ceux qui ont la charge de prêcher ou d’enseigner la religion est une idée dont la pertinence n’est contestée par personne. Les autres religions ont mis en place de semblables dispositifs. Mais ce sont aux musulmans de s’occuper des affaires de l’Islam. Pas à l’Etat. Et vouloir imposer une « Charte des principes de l’islam », en s’appuyant, non pas sur les musulmans eux-mêmes, mais sur des institutions créées par lui et aussi peu représentatives, ne pouvait que conduire à l’échec.

Dès le début du projet, des associations de musulmans, partout en France, avaient prévenu qu’il était illusoire de prétendre faire les choses en se dispensant de les consulter.

Qu’est-ce qui fait que ce texte pose problème ?


D’abord, le fait d’exiger des musulmans qu’ils s’engagent à respecter les valeurs de la République. « Nous réaffirmons d’emblée que ni nos convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République »
Cette exhortation suppose implicitement que les musulmans, ou certains musulmans ne respectent pas la Constitution. L’extrême droite s’était d’ailleurs hâtée d’instrumentaliser le meurtre de Samuel Paty pour le faire endosser par les musulmans. Le Ministre de l’intérieur avait suivi le mouvement en préparant le fameux projet de loi sur le « séparatisme ». Or, fait remarquer « off the record » un responsable du CFCM, contraint malgré lui de signer le protocole : « Je mets au défi quiconque de trouver un imam de mosquée ayant incité ses fidèles à désobéir aux lois de la France. Les musulmans sont des Français exemplaires. Il faut que nos dirigeants et nos concitoyens le sachent ». N’en déplaise à Lucile Rolland, patronne du Service de Renseignement Territoral, qui voit des islamistes partout, « Nous avons affaire à des gens qui apprennent très vite à s’adapter aux mesures qui sont prises. Cela fait bien longtemps que nous n’entendons plus, lors des prêches, des discours qui font ouvertement l’apologie du terrorisme » déclare-t-elle devant une commission parlementaire. En d’autres termes, comme aurait dit le Dr Knock, « Un musulman républicain est un islamiste qui s’ignore »

Ensuite, le texte impose aux signataires de s’engager à ne pas criminaliser « l’apostasie ». Mais où les rédacteurs de la charte ont-ils vu que la notion d’apostasie existait chez les musulmans français ? De même, la charte croit bon de rappeler le principe de l’égalité homme-femme et d’affirmer que « certaines pratiques culturelles prétendument musulmanes ne relèvent pas de l’Islam » Pourquoi encore insister sur ce point, comme si l’on voulait mettre dans la tête des citoyens que les musulmans ne respectent pas ce principe ?

Les signataires s’engagent à refuser « l’islam politique », à interdire « que les lieux de cultes servent à des discours politiques », et appellent à ne pas « diffuser de livres, fascicules, sites internet, blogs, videos, qui propagent des idées de violence, haine, de terrorisme et de racisme sous quelque forme que ce soit » En soi, il n’y a pas grand chose à redire à cela, sauf que le texte tend à faire croire que les discours politiques ou les incitations au terrorisme émanent des mosquées et des prêches de leurs imams, alors qu’ils sont l’apanage insaisissable du net. Ces injonctions n’ont par conséquent aucune influence dans la lutte contre le radicalisme. Elle accréditent en revanche la thèse de la dangerosité potentielle des mosquées.

Le refus des liens financiers entre les associations musulmanes et certains pays musulmans prête à sourire, lorsque l’on connait l’étroitesse des relations entre les pays du Maghreb et certains signataires de la Charte. Lors d’un récent débat sur Canal Plus animé par Yves Calvi, Mohammed Sifaoui, inattendu porte-parole de la Grande Mosquée de Paris compte-tenu de ses positions peu islamophiles, fustigeait la proximité des membres du CFCM ayant refusé de signer la charte avec la Turquie… jusqu’à ce qu’une autre invitée, Jeannette Bougrab, lui reproche à son tour le financement de la GMP par l’Etat algérien !

Enfin, l’article 9 entend interdire purement et simplement aux musulmans d’évoquer un « racisme d’état », ou d’accuser le peuple français de pratiques discriminatoires. « Les postures victimaires relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France ». Nos frères juifs, qui subissent à peu près les mêmes injonctions de la part de la sphère antisémite, apprécieront…
Ce paragraphe établit tout simplement le délit d’opinion. Interdira-t-on bientôt aux français de parler de violences policières ?

Dans la peau des Bourgeois de Calais


Se pose donc de nouveau la question-clé : quelles étaient les intentions réelles du gouvernement en élaborant cette charte ? Si on en considère les conséquences potentielles, on peut s’en faire une idée : l’extrême droite, par la bouche de Marine Le Pen, se satisfait d’un texte qui reprend d’ailleurs en grande partie « Le serment de fidélité à la France » de Dupont Aignan. Ainsi un nouveau pan du mur qui séparait jadis le candidat à la présidentielle de ses rivaux de droite s’effondre.
Ensuite, les organisations musulmanes de France sont plus divisées que jamais, entre les frères ennemis du CFCM et de la GMP, les 3 fédérations ayant refusé de signer la charte, la Fondation de l’Islam de France qui espère bien tirer son épingle du jeu, et la grande majorité des associations et fidèles musulmans qui renvoient tout ce joli monde dans ses 22 mètres.


« Le CFCM est dans la position des bourgeois de Calais, sortis une corde autour du cou pour se faire pendre », ironise Kamel Kabtane, recteur de la Mosquée de Lyon, « C’est comme ça que les musulmans voient aujourd’hui le CFCM. »
Enfin, ces polémiques aggravent la fracture entre les français non musulmans que l’on persuade que l’islam est incompatible avec la République, et les français musulmans qui ressentent ces injonctions comme une humiliation.
Pourquoi les politiques et les medias se focalisent-ils plus sur les violences terroristes, dont la plupart, comme le crime du déséquilibré tchétchène assassin de Samuel Paty, n’ont aucun rapport avec l’islam, que sur les victimes de violences conjugales, alors que, pendant les 5 dernières années, le terrorisme a tué 228 personnes, et les agressions domestiques 765 ?
En réalité, ce qui concerne l’islam, ou l’immigration, est plus clivant politiquement, ce qui permet à le droite, et par ricochet ceux qui cherchent à s’en rapprocher, de s’en emparer et de l’instrumentaliser.

Changer de stratégie


Par bonheur, les musulmans ont des défenseurs inattendus, mais déterminés : l’Eglise catholique, la communauté juive, les protestants, qui ont compris que les attaques contre l’Islam pourraient aussi leur être néfastes, et qui encouragent, comme les musulmans, le rapprochement inter-religieux. C’est d’ailleurs leur discrète intervention qui a mis en échec la stupéfiante proposition d’amendement d’Aurore Bergé, députée LaREM, qui souhaitait faire interdire le port du foulard aux mineures, même pendant la récitation du Coran.

Comment organiser, dans le calme est la sérénité, l’Islam de France ? Sûrement pas en le stigmatisant au regard des autres Français. Sûrement pas en lui appliquant une politique « jupitérienne », comme si, comme le furent les femmes en France il n’y a pas si longtemps, les musulmans étaient d’éternels mineurs. Sûrement pas en créant artificiellement des organisations et en leur confiant les rênes de la communauté, comme si elles étaient issues de celle-ci. Il existe, en France, plus de 8 millions de musulmans, un nombre considérable d’intellectuels, d’islamologues, d’associations de fidèles indépendantes de toute attache étrangère pour que cela vaille la peine de les intégrer au processus. Cela suppose aussi, bien entendu, que les musulmans eux-mêmes abandonnent leurs querelles intestines et s’unissent pour combattre impitoyablement l’islamophobie, et contribuer à construire, avec leurs concitoyens, une France plus juste, plus équitable et plus libre.

Voir aussi note article « La laïcité, qu’est-ce que c’est ? »

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