UN RAPPROCHEMENT ERDOGAN-POUTINE POURRAIT-IL BROUILLER LES CARTES DU JEU AMÉRICAIN ?

Alors que les deux présidents évoquent un renforcement des relations, une partie des médias turcs rapportent les échos de la rencontre dans la presse américaine.  

Par Émile Mila  

La lecture de la presse turcophone fait apparaître que la réunion qui s’est tenue le mercredi 29 septembre 2021 à Moscou, entre les présidents russe et turc, a passionné le public turc. La presse a consacré plusieurs de ses titres au renforcement de la coopération entre les deux pays.

Vladimir Poutine a accueilli son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, dans la ville balnéaire de Sotchi où ils ont discuté des relations bilatérales et de questions régionales et internationales, au cours d’un entretien de deux heures et trente minutes.

Au lendemain de sa rencontre avec son homologue russe, le président turc a réitéré la détermination d’Ankara de poursuivre la coopération turco-russe engagée dans le nord de la Syrie, dans le cadre du « processus d’Astana », selon l’Agence Anadolu (AA) rapportant que « la situation à Idleb en Syrie a été l’un des principaux sujets traités par les deux leaders ». R.T. Erdogan a rappelé le soutien de son pays à la population syrienne se trouvant dans le nord de la Syrie, et aux réfugiés ayant pu retourner dans les zones sécurisées, mais également aux 3,5 millions de réfugiés syriens accueillis par la Turquie. Rappelant la stabilisation qui a pu s’opérer dans le nord de la Syrie à travers le dialogue turco-russe, le président turc a cependant appelé Moscou à respecter tous ses engagements, notamment à assurer le retrait des groupes terroristes armés à 30 kilomètres au sud de la frontière turco-syrienne, alors que civils de la région d’Afrin continuent d’être visés par les YPG (« Unités de protection du peuple »).

« Concernant la présence du groupe terroriste PKK/YPG en Syrie, les différents points de l’accord conclu avec la Russie doivent être appliqués », a souligné Erdogan cité par l’agence de presse turque.

Le président turc « a exprimé son mécontentement relatif à l’existence d’une représentation de ce groupe terroriste dans la capitale russe » et dénoncé le soutien des États-Unis à la branche armée syrienne du groupe terroriste PKK, sous l’étiquette des « Forces démocratiques syriennes » (FDS).

 

Vers un partenariat turco-russe dans l’industrie de la défense ? 

Réitérant sa volonté de renforcer le partenariat turco-russe dans divers domaines, du commerce aux investissements bilatéraux en passant par le tourisme, le président Erdoğan, cité par le quotidien turc « Sabah », a également exprimé sa volonté de poursuivre la collaboration avec Moscou dans le domaine de la défense. 

« Le processus autour des S-400 se poursuit, pas question de faire marche arrière. Nous avons discuté [avec Poutine] de la manière de renforcer cette coopération », a-t-i indiqué, soulignant la détermination de la Turquie à préserver ce choix, n’en déplaise à Washington », rapportaient l’Agence Anadolu et le quotidien « Hürriyet ».

Évoquant l’achat des systèmes russes de défense anti-aérienne suite au refus des États-Unis de vendre les systèmes « Patriot » à la Turquie, le chef d’État turc a annoncé que « la Turquie envisage d’autres démarches conjointes avec la Russie dans l’industrie de la défense, y compris pour les avions de combat et les sous-marins ».

Le quotidien « Milliyet » a noté que le président russe avait notamment proposé de construire des plates-formes terrestres et maritimes avec la Turquie pour le lancement de fusées spatiales, alors que son homologue turc appelait les États-Unis à livrer les chasseurs F-35 commandés par son pays ou de restituer le paiement de 1,4 milliard de dollars versé par la Turquie à cet effet.

En 2019, Washington avait annoncé qu’elle avait exclu la Turquie du programme de construction d’avions de combat furtifs « F-35 », suite à l’achat par Ankara du système russe S-400.

Le quotidien « Sabah » a également rapporté que le président turc avait proposé à son homologue russe de collaborer à la construction de deux autres centrales nucléaires, après la coopération turco-russe dans mise en place de la centrale nucléaire d’Akkuyu, dans le Sud de la Turquie ; une proposition accueillie favorablement par Moscou. 

Marginalisation des États-Unis dans la région 

Après le renforcement annoncé du partenariat entre Ankara et Moscou, la presse turque n’a pas manqué de décrire les États-Unis comme les grands perdants de cette rencontre bilatérale Poutine-Erdogan, alors qu’elle rappelait le « mauvais départ » pris dans la relation entre le président turc et son homologue américain, Joe Biden.

Les médias turcophones ont rappelé le départ précipité des forces armées américaines d’Afghanistan alors que les Taliban prenaient le contrôle de la capitale Kaboul en juillet dernier, ainsi que la marginalisation de Washington dans le Caucase du Sud dans le nouvel équilibre géopolitique établi à l’issue de la guerre de 44 jours, à l’automne dernier, qui avait vu l’Azerbaïdjan recouvrer ses territoires occupés par l’Arménie au lendemain de la chute du bloc soviétique.

Le quotidien « Sözcü », connu pour son opposition à l’exécutif turc, a fait état du « malaise » régnant aux États-Unis, face au rapprochement annoncé entre Ankara et Moscou.Le quotidien turc a rapporté le contenu d’un entretien récent réalisé avec l’expert russe Ruslan Pukhov, par l’agence américaine « Bloomberg », le directeur du Centre d’analyse stratégique et technologique de la Russie notant que ce partenariat turco-russe est réel mais que son impact est également exagéré par Moscou et Ankara.Suite à la deuxième guerre du Karabagh (27 septembre – 9 novembre 2020) qui avait vu la victoire de l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie face à l’Arménie qui avait été armée par la Russie au cours des décennies passées, le géopolitologue russe, cite par « Sözcü » avait estimé que Moscou perdait son influence dans la Caucase du sud alors que la Turquie figurait comme puissance montante dans la région.         

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