Ce mercredi 23 avril, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de la préfecture du Nord qui privait le lycée musulman lillois Averroès de contrat d’association avec l’Etat. En s’appuyant sur des accusations sans preuve et en ignorant volontairement les rapports favorables de l’Inspection d’académie, le préfet avait justifié sa décision par des « manquements graves aux principes fondamentaux de la République », une condition qui n’est « pas remplie » selon le communiqué du tribunal, qui a aussi jugé que la procédure suivie était entachée d’irrégularités.
Georges-François Leclerc, ancien préfet du Nord qui avait décidé de résilier le contrat, le 7 décembre 2023, avait assuré qu’il disposait alors d’éléments « suffisamment tangibles pour considérer que les élèves étaient en danger » au sein d’Averroès. « Des éléments documentaires » et « certains enseignements (…) relevaient clairement du salafo-frérisme », Cette accusation reposait notamment sur la mention, dans la bibliographie d’un cours d’éthique musulmane, d’un recueil de textes religieux contenant des commentaires prônant la peine de mort en cas d’apostasie ainsi que la ségrégation des sexes. Or l’enquête a prouvé qu’un tel ouvrage n’avait jamais été présent dans la bibliothèque du lycée. De vagues accusation donc. A mettre évidemment en perspective avec les faits de violences démontrées des établissement catholiques jusqu’ici protégés par l’État et les régions.
Le tribunal administratif avait par deux fois, en 2024, confirmé la suspension du contrat en référé, mais la décision rendue mercredi après-midi est la première sur le fond du dossier. Les juges ont estimé que l’administration n’avait pas « suffisamment démontré » le « manque de pluralisme culturel de la documentation accessible aux lycéens », le « caractère contraire aux valeurs de la République du cours d’éthique musulmane » ou encore « l’existence d’un système de financement illicite » reprochés à l’établissement. La décision « à effet immédiat réattribue de manière rétroactive intégralement le contrat d’association au lycée Averroès ».
L’association Averroès a salué dans un communiqué une « victoire de l’Etat de droit » : « Il a été démontré que tous les enseignements dispensés au sein du lycée Averroès sont conformes aux valeurs de la République », s’est félicité Paul Jablonski, l’un des avocats de l’établissement, lors d’une conférence de presse à Lille. Eric Dufour, le directeur du groupe scolaire, a souligné que son établissement avait continué d’obtenir « des résultats brillants dans la tempête, dans une tempête absolue. Je pense qu’aucun établissement n’avait eu à vivre ça en France », a-t-il déclaré.
Averroes avait pourtant été plusieurs fois élu meilleur lycée de France, et ses résultats sont systématiquement largement supérieurs à la moyenne nationale.
Mais le gouvernement français ne veut rien entendre. Elisabeth Borne, la ministre de l’Éducation nationale qui avait avoué ne pas être « une spécialiste de la question», ce qui semble parfaitement exact, a annoncé qu’elle pourrait faire appel « après analyse approfondie du jugement », estimant dans un communiqué que « les griefs qui sont reprochés au lycée Averroès ont rompu la confiance entre les pouvoirs publics et l’établissement ». Comme si le tribunal administratif, jugeant sur le fond, n’avait pas écarté les accusations arbitraire dont le lycée avait fait l’objet. Quant au ministre l’intérieur, il continue à soutenir mordicus que le lycée Averroès est un « bastion de l’entrisme islamiste ». On se demande qui est le plus stupide. Celui qui prononce ces mots ou celui qui y croit…
Quant à Xavier Bertrand, toujours droit (enfin… droit…) dans ses bottes d’islamophobe patenté, a déclaré : « Au vu de la gravité des faits mis en lumière lors de la procédure, je souhaite que l’Etat fasse appel de la décision du tribunal administratif qui annule la résiliation du contrat qui liait l’Etat au lycée Averroès de Lille. En attendant un jugement définitif, la Région Hauts de France ne reprendra pas le financement du lycée.» Autrement dit, ce n’est pas parce que des musulmans n’ont rien à se reprocher qu’on ne va pas les condamner. Formidable pour un élu de la République ! Et ce monsieur se prétend Franc-Maçon, dont les devises sont la Justice et la Fraternité. Si le Grand Orient, l’obédience maçonnique dont il fait partie, est fidèle aux principes qu’il affiche, il devrait l’exclure de ses rangs.
La véritable question est de savoir si les lycées et collèges privés musulmans sont-ils discriminés par l’Etat, par rapport aux écoles juives et catholiques ? C’est la question que se pose la journaliste Aude Lorriaux dans le magazine 20 Minutes.
« En trente ans », rappelle-t-elle, « seuls deux établissements scolaires ont perdu leur contrat d’association avec l’Etat, et il s’agit de deux établissements musulmans : le groupe scolaire Al-Kindi, près de Lyon, et le lycée Averroès de Lille. Ces établissements ont fait l’objet de très nombreux contrôles, au contraire des établissements catholiques et juifs, pour lesquels les contrats ne sont jamais rompus, même lorsqu’il y a des manquements graves constatés, comme à Stanislas ou Notre-Dame-de-Bétharram. S’agissant des établissements juifs, le ministère aurait même fait interdire au début des années 2000 toute forme d’inspection.
J’ai le sentiment d’un deux poids deux mesures assez choquant entre le sort de l’établissement Stanislas, pour lequel il y a des témoignages abondants de violences homophobes, de violences racistes, et dont le contrat d’association perdure et le sort du lycée Averroès de Lille »,
20 Minutes pose ainsi « la question d’une discrimination systémique entre les établissements musulmans, catholiques et juifs, dont certains éléments tendent à prouver qu’elle est validée par les plus hautes instances ».
« Je n’en veux pas à l’enseignement privé catholique (…) mais quand on voit toutes les affaires qui sont sorties et quand j’entends dire encore une fois par le préfet que les enfants sont en danger à Averroès, je suis désolé, les enfants sont en sécurité chez moi », avait indiqué Eric. Dufour, directeur de l’établissement, avant la décision du tribunal administratif. Selon lui, la résiliation du contrat d’Averroès et celle décidée en janvier contre le groupe scolaire Al-Kindi, près de Lyon, sont « une attaque en règle contre l’enseignement privé musulman ». La décision lilloise constitue « un désaveu sévère pour le ministère de l’intérieur » et « une leçon de droit pour des politiques qui, toute honte bue, font du rejet de la différence (…) leur fonds de commerce », a par ailleurs réagi un fondateur d’Al-Kindi, Hakim Chergui.
N’est-ce pas finalement cela, le séparatisme dont se rengorgent Gérald Darmanin et Bruno Retailleau : chercher à exclure du territoire français certains de ses enfants sur le seul prétexte de leur religion, ou de leur supposée religion ?