LE MIRAGE ALGÉRIEN DE KEPEL

Par Sadek Sellam

Sadek Sellam est un historien franco-algérien, spécialiste de l’islam en France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : La France et ses musulmans : un siècle de politique musulmane (1895-2005), L’Islam et les musulmans en France, éditions Tougui (1987), Parler des camps, Penser les génocides, Être musulman aujourd’hui.

Dans son livre, « Prophète en son pays », Kepel fait des confidences mesurées qui lui permettent d’illustrer ses « chicayas » contre les politiques et les institutions françaises qu’il accuse d’avoir contrarié ses ambitions de devenir le Pharaon du néo-orientalisme sécuritaire. Mais il passe sous silence ses nombreuses visites en Algérie, et ne dit rien de ses tentatives de tirer profit des craintes inspirées en France par l’actualité algérienne à partir de la fin des années 80.

Après l’accueil mitigé qu’ont réservé les spécialistes à ses “essais pour grand public éclairé” (Hervieu-Léger) sur l’Egypte, puis sur le “pauvre Islam” (Hamidullah) en France, il visait surtout à se faire connaître dans la classe politico-médiatique, en exploitant ses réflexes de peur. Le démographe Emmanuel Todd avait dénoncé ses méthodes d’enquêtes où les Turcs, venus d’Allemagne, étaient sciemment surreprésentés dans son échantillon juste pour avoir un bon chiffre sur ce qu’il appelait « l’Islam actif »-« l’islam passif », fait d’informateurs indigènes et d’agents électoraux, lui paraissant plus « intégrable». Les prudences des algérologues hésitant à expliquer les manifestations d’octobre 1988, durement réprimées à l’entrée de Bab-El-Oued, lui firent croire qu’il pourrait devenir le meilleur spécialiste de ce pays, où il n’avait jamais mis les pieds. Après avoir vérifié auprès d’un ancien coopérant en Algérie croisé au CEDEJ du Caire que c’est Boumédiène qui avait renversé Ben Bella et non l’inverse, il a publié une tribune dans le Monde -où son passé trotskyste continuait à lui rapporter des faveurs. La suite de lieux communs de cet article visait surtout à rapprocher l’Algérie de l’Egypte où il se flattait d’avoir mené des « enquêtes de terrain ». A la fin de cet article sommaire, le tout nouvel algérologue tenté de renoncer à l’orientalisme durement mis à mal par Edward Saïd (au livre duquel il consacra un compte-rendu élogieux), a prescrit aux crises multiples de la société algérienne et aux conflits internes d’une classe politique à bout de souffle, un remède-miracle: la musique Raï !!!

Mais cette singulière thérapeutique n’a pas suffi à imposer Kepel comme algérologue du siècle. Son information parcellaire sur l’Algérie, ses explications approximatives des crises algériennes et ses solutions simplistes sidéraient ceux qui, pour en savoir plus sur ce pays, se donnaient la peine de consulter les anciens coopérants en Algérie (Vatin, Leca, Etienne, Burgat,…). Ces vrais spécialistes restaient attachés à l’humilité qui sied au véritable homme de science, et avouaient leur perplexité. Mais Kepel, encouragé par la répression des seuls manifestants en kamis, croyait dur comme fer qu’il était le seul à bien connaître “l’homo-islamicus” et se posait en analyste incontournable de toute crise impliquant des “islamistes”. Cette conviction a été à l’origine de sa prétention d’être le seul à pouvoir parler de l’islam politisé de tous les continents, sans tenir compte des contextes locaux qui favorisent la montée de ces courants. Cette prétention est à l’origine de ses contentieux avec les chercheurs rigoureux comme Thierry Zarcone, dont le livre « l’Islam en Turquie » sert de référence à tous ceux qui déplorent les insuffisances des essais de Kepel.

Après les premiers succès électoraux du FIS, son protecteur Rémy Leveau a chargé une jeune diplômée de Sciences-Po, d’aller faire des (vraies) enquêtes de terrain. Le politologue non-arabisant la jugeait plus apte à mettre en confiance les acteurs algériens que Kepel, dont les « enquêtes » sur l’Islam en France ne laissèrent pas que de bons souvenirs – notamment à la mosquée de la rue de Tanger dans le 19° arrondissement. Croyant toujours au mirage algérien, l’islamo-politologue arabisant a essayé de dépêcher en Algérie un étudiant atypique du DEA-Monde arabe. Mais ce fonctionnaire rompu aux véritables enquêtes n’a pas été autorisé par sa hiérarchie à aller rivaliser avec d’autres administrations sécuritaires. Cela coïncidait avec la création du CORIF (Conseil de réflexion sur l’Islam en France) qui fut annoncée à la Une du Monde par une longue interview de Pierre Joxe. Une nuée de solliciteurs s’abattit sur le ministère de l’Intérieur où l’on croyait à un important budget à répartir entre les spécialistes reconnus, ceux qui se croyaient compétents, les amateurs qui promettaient de s’améliorer et les spécialistes autoproclamés. Leveau a préféré envoyer Ghassam Salama qui était tout auréolé de son passage à Cambridge. Kepel ne pouvait pas aller à l’Intérieur car, selon un de ses informateurs indigènes, il n’arrêtait pas de persifler sur la naïveté des « organisateurs » de l’Islam en France, coupable selon lui d’avoir admis dans ce Conseil deux membres de l’UOIF, catalogués par lui « Frères Musulmans », avec autant d’empressement que Florence Bergeaud aujourd’hui.

A l’approche des élections législatives en Algérie, Leveau a décidé de se rendre lui-même en Algérie avec une équipe d’ « enquêteurs » du DEA-Monde arabe de Sciences-Po-Paris. Resté sceptique sur l’efficacité de la musique Raï proposée comme remède-miracle aux crises algériennes, le politiste non-arabisant a passé une partie de l’été 1991 avec un groupe d’étudiants en Algérie pour s’adonner aux « enquêtes de terrain » dont Kepel croyait avoir le monopole. Parmi ces apprentis-enquêteurs, il y avait un doctorant (qui ne soutiendra jamais sa thèse sur »les Jeunes et les islamistes ») qui s’est flatté d’avoir fait du « terrain » en répétant ce que lui avait dit un ancien chef de département de sociologie de l’université d’Oran, qui était aussi un apparatchik du FLN local. Cet ex-futur islamo-politiste a fini à l’émission dite islamique où ses interventions permettent surtout de déplorer les insuffisances théologiques de l’enseignement de Sciences-Po. Négligeant les avis de ce spécialiste des idées générales, Leveau remit un rapport vantant le « républicanisme » de l’ANP (Armée Nationale Populaire – NDRL) qui, écrivit-il avec une inoubliable prescience, « ne fera plus de politique » !

C’était moins de six mois avant la « démission » de Chadli, la proclamation de l’état d’urgence, l’interruption des élections, l’interdiction du FIS et l’ouverture des camps du « Goulag saharien ».

A Alger, Leveau entendit dire dans les dîners avec les futurs éradicateurs que «Abbassi Madani, aurait été le « chef de cabinet de Bennabi à la direction de l’enseignement supérieur » . L’honnête politiste, pour qui le Maroc était plus facile à étudier, grâce à ses relations avec Driss el Basri (qui le dispensait de faire des « enquêtes de terrain »), s’est empressé de publier dans la savante revue « Pouvoirs » (avril 1992) cette (dés) « information », jugée essentielle pour ceux qui s’acharnaient à trouver une filiation intellectuelle au « radicalisme » du FIS. Il suffisait pourtant de lire les passages incendiaires de Bennabi sur les « intellectomanes » qui font de la mauvaise politique, appelée par lui « boulitique », et de se souvenir de son sérieux désaccord avec Syed Qotb, pour s’apercevoir de la vanité de ces suppositions. Ces « enquêteurs » étaient fascinés par leurs interlocuteurs algériens qui réussirent à diaboliser les islamistes et à justifier le « coup d’Etat du soulagement », comme disait Jean Daniel qui, sur recommandation de Jean Audibert(ambassadeur de France à Alger), s’était fait recevoir par un ministre socialiste de l’Intérieur à qui il transmit le souhait de « [nos] amis arabes » de voir la France plus impliqués dans la lutte anti-islamiste.

Ces spin doctors algériens dispensaient les « enquêteurs » français de lire Bennabi. Ils auraient découvert son opposition à la la création du Pakistan (« l’Islam n’a pas besoin d’un Etat confessionnel »), son apologie de Gandhi et sa critique de Fanon qui aura surtout dispensé « les zaïmillons de penser » et dont l’apologie de la violence détournait de l’effort nécessaire à la « nouvelle édification »(titre d’un livre paru en 1960 dans lequel Bennabi démontrait la compatibilité de l’islam avec la démocratie). Ces singuliers politistes s’en remettaient à une « tradition orale » qui aura influencé des salles de rédaction parisiennes qui sont devenues rapidement des relais du discours éradicateur. En Algérie il y avait toute sorte d’inconséquences. Mais les instituteurs et autres moniteurs, comme l’était Madani, n’ont jamais dépendu de l’enseignement supérieur. Cette grossière erreur sur Bennabi a la vie dure puisqu’elle vient d’être reprise dans un rapport kilométrique destiné à une meilleure rentabilisation de la peur des radicalismes. Dans cette sorte de patchwork commandé par le peu exigeant Institut Montaigne Kepel est cité 77 fois et Arkoun deux fois ! Son signataire fait pourtant de bonnes propositions pour affecter les recettes de la taxe halal au financement du culte musulman, sujet sur lequel Kepel n’a pas écrit une page, laissant le soin à Bergeaud de faire de la viande licite le principal cheval de bataille des « fréristes », terme plus imprécis encore que la « mouvance de pensée des Frères Musulmans », concept qui n’a jamais été défini scientifiquement.

Après l’assassinat de Boudiaf, Kepel, encouragé par les démentis apportés aux prédictions de Levau, s’est empressé de rééditer « le Prophète et le Pharaon ». Dans la préface il esquisse un parallèle entre le sous-lieutenant algérien Embarek Boumaarafi qui a tiré sur Boudiaf et le lieutenant égyptien Stambouli qui a assassiné « le Pharaon »(Sadate).

A ceux qui ignoraient que Boumaarafi avait passé la nuit du 28 au 29 juin à boire du whisky à l’hôtel Seybouse de Annaba, il voulait faire croire que cet officier du GIS (GIGN algérien) serait islamiste et que ce qui se passait en Algérie ne serait qu’un remake de ce que l’Egypte avait vécu. Par ces comparaisons à l’emporte-pièce, Kepel se croyait dispensé d’améliorer ses connaissances sur l’Algérie. Par un raisonnement mécanique et une analogie sommaire avec l’Egypte de Sadate, il faisait croire que l’ANP serait infiltrée par les islamistes radicaux, et invitait à la lecture de ce qu’il avait écrit dans « le prophète et le Pharaon » quiconque voulait comprendre ce qui se passait en Algérie. Les révélations du capitaine Ahmed Chouchane et l’ébruitement des mises à la retraite des officiers pratiquants ne changèrent rien aux suppositions de l’essayiste soucieux d’abord de son prestige auprès des journalistes, et renonçant de plus en plus à un minimum de scientificité.

Mais, malgré ce prestige tout médiatique, à une grande émission de France 2 sur l’Algérie, Leveau a préféré inviter François Burgat, qui réussissait mieux à mettre en confiance les dirigeants islamistes sur lesquels Kepel était renseigné par des informateurs indigènes qui renseignaient déjà les éradicateurs.

En juin 1990, Burgat avait pu rencontrer Madani que les « enquêteurs » de Sciences-Po-Paris n’arrivaient pas à approcher. Pourquoi Leveau ne s’est-il pas fait accompagner par Kepel à l’émission de France 2 ? Sans doute parce que le protecteur de Kepel avait cessé de le soutenir inconditionnellement quand il prit la défense d’une jeune doctorante qui avait mené de vraies enquêtes de terrain en Algérie. L’islamo-politiste arabisant avait été amené en Algérie par la jeune chercheuse qui lui a facilité les contacts. Mais il a utilisé son carnet d’adresses et s’est rendu coupable d’un « détournement » d’informateurs indigènes avant d’essayer d’empêcher la doctorante de soutenir sa thèse. Mais Leveau a empêché le rancunier islamo-politiste de se venger contre sa nouvelle protégée.

Après ce détournement d’informateurs à Alger, Kepel s’est acharné à obtenir le fichier complet des anciens du séminaire hebdomadaire de Bennabi, que la doctorante, moins bloquée par des présupposés idéologiques, a comparé à Renan pour sa « Réforme intellectuelle et morale » et ne l’a pas catalogué « islamiste ». Kepel l’a trouvée « naïve » et s’est obstiné à faire de Bennabi une sorte de Syed Qotb algérien. Ce faisant, il a montré son ignorance aggravée par son refus de parcourir ses principaux livres comme « l’Afro-Asiatisme. Conclusions sur la conférence de Bandoeng », où Bennabi explique son sérieux désaccord avec Syed Qotb. Les écrits de Kepel sur l’Egypte ne lui ayant pas rapporté les hauts postes que sa renommée médiatique était censée lui rapporter, il était persuadé que le passage au modèle algérien allait favoriser l’ascension qu’il attend depuis sa sacralisation du « terrain » à Assiout. Il a payé une page publicitaire dans le journal éradicateur El Watan où il s’est présenté comme « spécialiste des religions en Orient, en Afrique du Nord, en Europe de l’Ouest et en Amérique !». Il espérait que ce titre ronflant, qu’il s’est attribué après la parution de « la Revanche de Dieu », allait augmenter le nombre de ses informateurs en Algérie. Le résultat fut décevant car il a dû se contenter de ceux qui furent chargés par des services spécialisés de « l’informer » au compte-gouttes et de le mettre parfois sur de fausses pistes. Ils auront surtout renseigné sur ses contacts « secrets » dans les autres pays, où il a une préférence pour les services spécialisés aux dépens des universitaires.

Mais la publication de « A l’Ouest d’Allah », fin 1994, a déçu. Sur l’Algérie, la montagne a accouché d’une souris. Certes, il n’est plus question de musique Raï comme remède-miracle aux crises algériennes. Mais le chapitre consacré à l’Islam en France, si mal étudié dans « les Banlieues de l’islam », commence par des passages superficiels et anecdotiques sur le FIS en Algérie. Il s’est contenté des récits d’un journaliste à qui il a rapporté une pige dans le Figaro, et des « confidences » d’un « gestionnaire » (chargé en fait de mettre sur fiches les journalistes « indépendants ») connu pour ses affabulations. C’est ce zélé informateur(qui aura surtout renseigné sur lui) qui, après avoir échoué à lui débrouiller le fichier complet des anciens du séminaire de Bennabi, lui a parlé d’un ingénieur-statisticien qui « habite la banlieue parisienne ». Cela a donné dans « A l’Ouest d’Allah » : « …des disciples de Bennabi qui islamisent les banlieues difficiles… »(sic). Ce dangereux « missionnaire » habitait près du château de Versailles où il n’y a pas de musulmans. Et il avait eu des échanges épistolaires avec Bennabi à qui il demanda des conseils quand il était interne dans un lycée parisien où il préparait les concours des grandes écoles. Bennabi avait pour habitude de répondre à des dizaines, voire à des centaines de lettres analogues à des correspondants qu’aucun chercheur honnête n’a songé à mettre en accusation. Sans doute en raison de l’état second dans lequel le mettaient le soleil, le sable, la mer et les montagnes du pays où son père avait failli se « faire égorger dans les djebels », Kepel se croyait tout permis. Les propos laudateurs des flagorneurs convoitant de petits avantages semblaient le dispenser de toute vérification élémentaire.

Ce qui fait que le projet algérien de l’ambitieux politiste sécuritaire est resté à l’état de mirage jusqu’à l’élection de Boutéflika en avril 1999. La victoire des éradicateurs lui inspira son livre intitulé « Djihad », dont les prédictions furent démenties par la victoire du Hezbollah au Sud-Liban, puis par le 11 septembre 2001 à New-York. Le sous-titre- « déclin de l’islamisme »-fit illusion chez un attaché de l’ambassade d’Algérie à Paris, où il venait d’être affecté grâce au soutien du nouveau président. Cet apprenti-décideur, qui se flattait de voir « l’expérience algérienne » théorisé par un politiste devenu coqueluche des médias, organisa une coûteuse visite de Kepel en Algérie. Les vrais décideurs algériens tolérèrent cette visite quand l’attaché leur expliqua que le « déclin » de l’islamisme dans le monde devait beaucoup à la politique algérienne d’éradication. C’est cette phraséologie tenue par Sifaoui 30 ans après qui lui rapporta les importants financements du fonds Marianne. Kepel crut que le mirage algérien allait devenir réalité quand son nouveau protecteur l’a recommandé à El Mouradia. La lune de miel était telle que l’illustre visiteur a été inscrit sur la liste des « invités du président » à la réunion de Crans Montana. Mais la veille du départ de Boutéflika en Suisse, la Présidence reçut un fax demandant le retrait du nom de Kepel de cette liste. Cela résultait de sérieuses interrogations sur ses contacts dans les capitales du Sahel où il venait de faire une tournée traduisant sans doute une volonté d’ajouter à son implication dans la Françalgérie un fort désir de mettre son grain de sel (pouvant devenir un grain de sable) dans la Françafrique. Une enquête sur l’enquêteur permettrait d’en savoir plus sur les contacts dans les capitales de l’Afrique de l’Ouest qui valurent à Kepel cette déconvenue.

Ses relations avec le palais d’El Mouradia tournèrent court quand un proche de Boutéflika découvrit son article dans une revue de néo-conservateurs américains qui avait sollicité…Benjamin Netanyahou !

Ce genre de révélations justifièrent l’ordre de la Présidence de ne plus donner de visa à ce singulier visiteur, notamment après les propos à caractère raciste tenus sur Abdelhamid Mehri. Par une question simple, mais embarrassante, l’ancien ministre du GPRA et architecte du contrat de Rome qui mit les éradicateurs dans tous leurs états, a pu écourter une conférence programmée à la Bibliothèque Nationale d’El Hamma en 2008. Quelques minutes après le début des répétitions de Kepel sur « la mouvance de pensée des Frères Musulmans », les « Wahabites », « les salafistes », les « Djihadistes » et les « Salafo-Djihadistes » Mehri s’est levé pour dire en substance au savantissime conférencier : « Vous êtes dans un pays musulman où les courants dont vous parlez sont bien connus ». Le placide ex-secrétaire général du FLN qui fut victime d’un honteux « coup d’Etat » pour avoir refusé de mettre ce parti au service de « l’éradication », ajouta : « Parlez-nous des enfants palestiniens déchiquetés par l’aviation israélienne ! » La salle approuva et le conférencier a du filer à l’anglaise par une porte dérobée…

Le limogeage du directeur de la Bibliothèque nationale, annoncé juste après cet incident, semble avoir eu pour cause les bonnes relations que ce bon romancier, pressenti pour être ministre de la Culture, commençait à entretenir avec Kepel qui fut privé de visite en Algérie jusqu’aux attentats à Paris de 2015. Kepel crut que ce drame allait lui permettre d’atteindre les objectifs qu’il s’était fixé à Assiout, et que la protection de Valls allait booster sa carrière. Le théoricien des « deux gauches inconciliables » l’a chargé d’une coûteuse mission sur le terrorisme. Pour les besoins de cette enquête, il a accompagné Ayrault et Valls à la mosquée de Paris un jour de Bayrem. Il approcha le consul général d’Algérie à Paris qui, pour avoir lui avoir délivré un visa, s’est trouvé radié du corps diplomatique.

A Alger, il ne restait à Kepel que le Forum de Liberté d’où il lança un appel apparemment au dialogue, mais qui était une demande d’être reçu en haut lieu pour les besoins de son coûteux rapport. Mais il n’a jamais eu les rendez-vous qu’il voulait comparables aux audiences accordées par le général Omar Souleiman, ministre du Renseignement égyptien, et par Torki El Fayçal le chef du renseignement saoudien, qui accepta même de le financer.

A Alger, Kepel a laissé le souvenir d’un visiteur venu apparemment pour compléter son information à des fins de recherche universitaire. Mais on est sidéré d’apprendre qu’il jugeait prioritaire une rencontre(-négociation?) avec un général retraité qui était chargé de l’acheminement par voie terrestre vers la Libye sous embargo des produits arrivés par le port de Annaba. On apprit aussi qu’il s’est intéressé, à partir des Eucalyptus près de Sidi Moussa, aux abords de l’aéroport d’Alger quand Air-France évaluait les risques de la reprise de ses vols interrompus après le détournement de l’Airbus en décembre 1994.

En définitive, dans ses très séjours algérois, Kepel a négligé allègrement les enseignants et chercheurs de la soixantaine d’universités algériennes à qui il a préféré des flagorneurs-informateurs indigènes souvent affabulateurs, et pour qui le renseignement compte infiniment plus que l’enseignement.

Faute d’avoir pu devenir un algérologue reconnu, il s’est contenté de considérer l’Algérie comme une pétromonarchie maghrébine où les Algériens ne seraient que les « accessoires humains des puits de pétrole »(Berque), et où la Françalgérie pourrait être plus bénéfique que la Françafrique.

Malgré tout cela, il ne désespère pas de renouer avec les flagorneurs, les affabulateurs et autres informateurs indigènes qui roulaient pour l’attaché d’ambassade qui fit croire aux décideurs que ce politiste allait mettre sa plume au service de « l’expérience algérienne »-qui aura coûté 250.000 vies humaines et l’exil d’un million de diplômés. Son apologie du nouveau recteur de la mosquée de Paris s’expliquerait par son souhait de renouer avec les protecteurs de ce dernier qui l’imposèrent comme avocat forfaitaire d’une douzaine d’institutions algériennes à Paris, dont une demi-douzaine de consulats. Moyennant quoi ce nouveau « bureaucrate de la foi » multiplie les promesses de rompre avec… « l’Islam consulaire ». Invité à la dernière réunion du FORIF (Forum de « l’Islam de France ») lancé pour remplacer le CFCM où le recteur ne réussit pas à s’imposer, Kepel se contenta d’en dire du bien : « Il a l’oreille des présidents Macron et Tebboune… ». Le politiste prit pour argent comptant la prétention du recteur d’avoir « reçu la feuille de route du président Tebboune sur l’Islam de France »(sic).

Mais après les stupéfiantes prises de position du recteur sur Gaza, le recteur et l’homme fort de la mosquée (un ex-caporal arrivé comme garde-corps de Boubakeur) n’arrivent plus à se faire recevoir dans les ministères à Alger. Et le projet algérien de Kepel semble voué, une fois de plus, à rester un mirage.

Ces informations que Kepel veut passer sous silence peuvent être complétées par ceux qu’intéresse l’enquête sur cet enquêteur. Ces derniers sont de plus en plus nombreux si l’on en croit les réactions au précédent article-« la Françafrique et les demi-vérités de Kepel »- qui sont des encouragements à une démystification nécessaire.

Sont particulièrement intéressés par cette démystification les nombreux chercheurs peu satisfaits des répétitions des politistes sécuritaires et désireux d’étudier l’histoire intellectuelle de l’islam en France. L’utilité de l’étude des intellectuels musulmans de France paraît évidente à ceux qui ne veulent pas se payer de mots- « dé-radicalisation », « signes extérieurs de radicalisation », etc- et veulent une éducation musulmane que les instituts fictifs et les établissements-pompe-à-fric sont incapables de proposer.

Pour favoriser l’étude des intellectuels musulmans comme Bennabi et Hamidullah, on a besoin de dire qui est réellement celui qui s’était acharné à les diaboliser sans les voir lus, et éviter surtout de se contenter de ce que dit de lui-même celui manie l’art de donner au faux les apparences du vrai.

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