LA PARABOLE DES SQUATTEURS

Par Roland Laffitte

Chercheur et essayiste spécialiste des civilisations de la Méditerranée


Un groupe de squatteurs venus d’autres quartiers de la cité s’installent peu à peu votre terrain, sous un prétexte quelconque : les squatteurs ont parfois de bonnes raisons mais, chose peu commune, ceux-là le font avec la bénédiction des « autorités », c’est-à-dire des maîtres de la cité.

Un jour, ils s’enhardissent et, toujours soutenus par leurs protecteurs, ils vous expulsent de façon massive de votre terre et obtiennent pourtant des autorités officielles de la cité la reconnaissance de la propriété de plus de la moitié de votre bien, sans pourtant pouvoir invoquer une quelconque usucapion, terme par lequel les juristes comprennent une prescription acquisitive, laquelle ne saurait être légitimée que si elle exclut toute violence

Cela ne leur suffit pas. Un autre jour, ces squatteurs vous refoulent encore et s’assurent le contrôle armé de l’ensemble de votre terrain, le peuplant à leur guise des leurs, ou d’autres populations qu’ils font venir d’ailleurs. Ils finissent par vous confiner dans un réduit au fond de votre terrain. Ils prétendent se protéger en vous bombardant sans cesse de bombes, obus et missiles divers, et en bloquant votre approvisionnement en biens de toute nature. Et cela avec la complicité de vos propres voisins, vos cousins et frères – du moins celle de leurs responsables contre l’avis de leurs propres peuples ‒, dont vous étiez en droit d’espérer un peu de solidarité. Ils vous soumettent de la sorte à des conditions de vie infrahumaines, pire que celles d’animaux en batterie dans leurs termes industrielles – car ces derniers au moins sont nourris.

Et quand vient le jour où un groupe de vos enfants excédés, qui n’en peuvent vraiment plus leur condition vraiment monstrueusement indigne, font une sortie sur le terrain dont vous avez été dépossédé, ce qui entraîne bien sûr de pauvres victimes, voici que vos occupants, criant sur la place publique à l’autodéfense et invoquant le viol de leur sacrosainte tranquillité par des barbares « génocidaires » – c’est de cette épithète qu’ils affublent vos enfants ‒, trouvent dans le drame non seulement occasion à se venger, mais prétexte à vous exterminer sans vergogne, avec une minutie odieusement entêtée.

Comment nommer ce déni complet de votre humanité, ce véritable crime de lèse-humanité ? Pourtant, il est perpétré dans un monde qui n’est pas imaginaire. Il l’est dans un monde dans lequel nos gouvernants, qui se croient pour toujours les maîtres de la planète et qui voudraient imposer à cette dernière leur propre loi et leur morale prétendue « universelle » ‒ incapables qu’ils sont de les appliquer à eux-mêmes ‒, ou bien applaudissent cette injustice radicale ou bien ne font que la déplorer du bout des lèvres en se gardant bien du moindre geste pour s’y opposer. Ceci parce qu’ils considèrent vos envahisseurs comme leurs propres enfants, remuant certes, mais leurs enfants chéris à qui l’on devrait passer tous les forfaits contre vous qui n’êtes pas de leur monde. Et là encore vos plus proches voisins, vos cousins et frères ‒ du moins leurs dirigeants, car les peuples enragent ‒ ne disent mot, quand ils n’aident pas directement à votre martyre. Les squatteurs le savent : ils ne l’emporteront pas au paradis.

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