L’intitulé de la question est important. La question n’est pas de se demander si les Français sont racistes. Tous les sondages semblent unanimes à ce propos, la grande majorité des Français n’ont aucun problème avec l’origine, la religion, ou la couleur de peau de leurs concitoyens. Les mariages mixtes sont en augmentation, et on ne peut que s’en féliciter.« La France n’est pas un pays raciste… mais les racistes sont très bruyants », répond le député LFI Carlos Martens Bilongo, qui sait de quoi il parle, étant plus qu’à son tour victime de harcèlements xénophobes sur les réseaux sociaux. Il a certainement raison, mais la vraie question est de savoir si la France, telle qu’elle peut être identifiée par ses représentants, est à classer dans cette catégorie. Et là, la réponse est bien différente.
Depuis quelques années, la classe politique, à quelques exceptions près, cornaquée par les chefs d’État et leurs gouvernements qui se sont succédé depuis 2007, s’est engagée dans une dangereuse voie de racisme institutionnel.
Le questionnement sur « l’identité nationale », puis la théorie de la « nouvelle laïcité » ont conduit à mettre au ban de la société française ceux que la France avait pourtant appelé de leur Maghreb ou de leur Afrique natale pour contribuer à la croissance de la France, les descendants des anciens colonisés, et ceux qui pratiquent la religion musulmane ou simplement s’en réclament.
Les « philosophes » médiatiques attitrés de la République ont eux aussi, et continue de le faire, contribué à la prospérité de cette idée nauséabonde que les musulmans ou les personnes « racisées », seraient intrinsèquement exogènes à la société française. Cela est allé si loin que même Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, qui fut pourtant à l’origine de la droitisation de la politique française, a fini par s’en émouvoir. Au cours d’une interview donnée à la journaliste Apolline de Malherbe, il mit en garde sa « famille politique » de l’erreur fondamentale dans laquelle elle était en train de s’abîmer : « Je dis à mes amis de droite, il m’en reste encore beaucoup : ne vous laissez pas enrôler dans une croisade contre l’Islam. Vous faites fausse route, ce n’est pas le bon chemin, c’est une erreur magistrale que nous paierons. Le problème ce n’est pas tant l’Islam que l’immigration. Il ne faut pas se tromper dans l’analyse. Ceux qui se trompent dans l’analyse seront responsables des grands malheurs qui pourraient arriver à la France dans les années à venir», a-t-il averti, en ajoutant : «Nous sommes pratiquement la seule nation d’Europe où les signes religieux sont interdits dans l’espace public, pratiquement bannis. Je n’ai jamais été un laïciste forcené, je trouve qu’on pourrait manifester sa foi comme on l’entend. J’ai plus de respect pour une femme voilée que pour une lolita en string de 13 ans. J’ai plus de respect pour un musulman qui fait sa prière cinq fois par jour que pour les bobos écolos à trottinette». Il conclut par cette appréciation sur les musulmans qui laissa son interlocutrice sans voix : «Je considère qu’en humanité, ils ne sont pas des êtres inférieurs, j’ai même tendance à considérer qu’ils sont des êtres supérieurs. »
Aujourd’hui, avec l’arrivée au gouvernement de Gerald Darmanin et de Bruno Retailleau, il semble que cette hystérie islamophobe ait atteint son paroxysme. Quoique, pour paraphraser la célèbre comparaison d’Einstein entre l’univers et la bêtise, on peut craindre qu’il n’y ait pas de limite à cette dernière.
En ce domaine, on ne peut que regretter que le « en même temps » d’Emmanuel Macron ait été décliné en « deux poids et deux mesures ». On sanctionne, sans aucune preuve des lycées musulmans en vertu d’un imaginaire esprit de « séparatisme », et on prodigue la plus grande indulgence envers des établissements catholiques coupables de violences sexuelles contre les élèves. On s’indigne des menaces proférées sur les réseaux sociaux contre une gamine imbécile qui insulte les musulmans, et en se tait sur les appels au meurtre quotidiens adressés sur ces mêmes réseaux sociaux à l’encontre des musulmanes et des musulmans. Lorsqu’un déséquilibré assassine sauvagement un enseignant, au nom d’une religion qu’il ne pratique même pas, on s’insurge contre l’islamisation de la société, l’affaire monopolise des années durant la presse et le monde politique, et on baptise des places au nom de la victime. Lorsque qu’un jeune, tout aussi déséquilibré, poignarde et tue dans son école, on ne fustige pas l’extrême-droite dont il se réclame et ses discours meurtriers. On reconnait simplement les troubles psychiatriques de l’adolescent. Lorsqu’à Orléans un rabbin est agressé, on en fait, à juste titre, la une des journaux. Lorsqu’un fidèle est assassiné dans la mosquée de Grand’Combe, dans le Gard, ce vendredi, cela ne fait même pas un entrefilet dans la presse, et ni le ministre de l’intérieur, ni le préfet, pourtant d’ordinaire si prompts à venir sur place mettre l’islam en cause à propos de n’importe quel fait divers, n’ont daigné faire le déplacement. Enfin, on s’émeut, et on a raison de le faire, des centaines de victimes civiles du 7 octobre 2023, et on poursuit pour « apologie du terrorisme » celles et ceux qui protestent contre les 40 000 victimes civiles, dont une majorité de femmes, d’enfants et de vieillards, de la répression menée par Netanyahu à Gaza.
Ce n’est plus possible. Le monde ne peut retrouver son équilibre si ceux qui prétendent en être les guides se livrent à l’injustice, au déni, à la complicité de crimes contre l’humanité.
La France que nous aimons, ce n’est pas celle-là. La France que nous aimons, c’est celles des humanistes, celle des penseurs qui n’ont pas seulement fait graver sur le frontispice de nos institutions les mots Égalité et Fraternité, mais ont appelé à leur donner la vie.
Victor Hugo, Voltaire, Lamartine font partie de ceux-là. Eux aussi se sont initialement fourvoyé dans une méfiance à l’égard de cette religion jugée indigène que leur paraissait l’islam, mais ont fait volte-face dès qu’ils ont été en contact avec les pays arabes, comme ce fut aussi le cas pour Napoléon, Rimbaud, et bien d’autres. Dans son dernier livre « Lamartine, passeur d’islam », Louis Blin, historien et diplomate, rappelle combien, à travers ses voyages au Levant, ses lectures et ses rencontres, Lamartine a profondément transformé sa perception de l’Orient et du monde musulman. Bien loin des clichés orientalistes de son temps, il a vu dans l’islam une religion de raison, de tolérance et d’humanisme.
Être Français, ce n’est pas reprendre à son compte les théories racistes et xénophobes qui conduisirent, il n’y a pas si longtemps, l’Occident à son Armaguedon. C’est se réclamer de l’héritage de ces sublimes penseurs . « Quand on est islamophobe, on est anti-français » concluait Louis Blin lors d’une interview à notre confrère Oumma TV.
Jean-Michel Brun