Les faits
Depuis le samedi 7 oct. au matin, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », lancée par le Hamas contre l’État d’Israël bouleverse tout. Cette attaque est appelée également dans les medias « Guerre du Soukkot » car commencée pendant les fêtes du même nom, en référence à la « Guerre du Kippour » de 1973 lorsque l’Égypte et la Syrie ont attaqué Israël par surprise.
Plusieurs centaines de morts, des otages, des kidnappés, cette opération suit un mode opératoire inédit qui désoriente la société israélienne : là où les services de renseignements évoquaient de possibles tirs depuis la Cisjordanie, c’est depuis la bande de Gaza que des commandos, notamment équipés d’ULM, ont survolé le mur de séparation et ont pénétré à l’intérieur des frontières d’Israël. Plus de 5 000 roquettes ont été tirées vers le centre et le sud d’Israël depuis la bande de Gaza. Plus de 700 personnes ont été tuées en Israël et le bilan devrait encore s’alourdir, selon le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer. Plus de 2150 personnes ont été blessées, et plus de 100 personnes sont prises en otage.
Le pays tout entier est sous le choc. Les rues sont vides, et le silence n’est troublé que par les interceptions de roquettes par le « Dôme de Fer ». Lors d’un briefing de l’armée pour les journalistes, un porte-parole ne pouvait pas répondre à des questions simples et paraissait fébrile.
Du côté palestinien, le ministère de la santé a déclaré qu’au moins 413 Palestiniens ont été tués et 2300 autres blessés à Gaza depuis samedi.
Des critiques se sont déjà fait entendre contre le gouvernement de Benjamin Netanyahu, accusé d’avoir politisé l’armée et de ne pas avoir pris en compte les mises en garde de ces derniers mois, alertant d’une diminution des compétences militaires, d’une diminution du pouvoir de dissuasion et de la possibilité d’une flambée de violences sur plusieurs fronts.
Quatre positionnements se dessinent à ce stade et cristallisent les lignes de fractures mondiales : condamnation ferme et soutien à Israël, appel à la désescalade souvent avec condamnation, soutien à l’opération du Hamas et absence de positionnement. Huit pays ont exprimé explicitement leur soutien au Hamas, dont l’Iran, la Tunisie et l’Algérie. Pour l’instant, l’Iran se contente de discours véhéments, mais semble lui-aussi éviter de franchir une ligne qui pourrait s’avérer dangereuse. Et hormis le Soudan, l’appel à la désescalade est le positionnement majoritaire au sein des pays ayant signé les Accords d’Abraham. La Ligue Islamique Mondiale elle-même, invite, dans ses tweets à la paix et à la réconciliation.
Outre le choix du mode opératoire, particulièrement inédit, ce qui interpelle est celui du moment de l’attaque. L’armée israélienne était relativement démobilisée en ce dernier jour de Soukkot, un accord de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël semblait proche. La guerre qui vient de se déclencher risque sans aucun doute d’entraver à court et moyen terme la possibilité pour Israël d’une normalisation de ses relations avec l’Arabie Saoudite. Elle met également dans l’embarras les autres pays arabes qui avaient commencé à normaliser leurs relations avec Israël. Les populations affichant majoritairement leur soutien au peuple palestinien, les gouvernements risquent de se trouver devant une situation intenable.
Comment les medias occidentaux couvrent-ils le conflit ?
A l’instar des gouvernements, les medias occientaux soutiennent ouvertement l’État d’Israël, qualifiant l’opération du Hamas d’« attaque terroriste ». Le mot « terroriste » n’est pas anodin. Il qualifie une opération de guerre ou de guerilla non-conventionnelle menée contre une force armée conventionnelle. L’employer à l’égard de l’un des protagonistes revient à désigner celui-ci comme l’auteur d’une « lâche agression », et marque un soutien délibéré à l’autre partie.
Ce qui ne pose pas de problème particulier pour le citoyen qui a le droit de préférer l’un et condamner l’autre, est moins acceptable pour le journaliste qui doit se contenter d’exposer les faits et de s’enquérir objectivement des motivations de l’une et l’autre partie. Selon que l’on considère les faits depuis l’un ou l’autre camp, chacun peut en effet être qualifié de « terroriste » ou de « résistant ». On rappelle que les résistants français étaient appelés « terroristes » par les nazis, alors que les militants de l’Irgoun et du groupe Stern, auteur notamment de l’attentat de l’hotel King David à Jerusalem en 1948 furent considérés comme des « terroristes » par l’occupant anglais, alors qu’ils se voyaient eux-mêmes comme des « résistants » à cette même occupation.
C’est ce qu’ont admis les medias américains, alors que les États-Unis, qui viennent d’envoyer des forces armées en soutien à Israël, sont le plus ardent défenseur de l’État hébreux.
Le New York Times a refusé d’employer l’expression “terroristes du Hamas”, lui préférant « militants du Hamas ».
Sur CNN, la journaliste vedette Christiane Amanpour a invité sur son plateau le leader palestinien Mustafa Baghouti et l’ambassadeur palestinien Husam Zomlot à expliquer la position des autorités palestiniennes, ce qu’ils ont pu faire clairement et sans détour.
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Les medias français et le conflit israelo-palestinien
Étrangement, la France, par la voix de ses medias traditionnels, qui veut pourtant afficher un soutien moins ostensible à Israël et sa politique, sans doute pour se garder, le cas échéant, une possibilité d’apparaître comme un arbitre potentiel, montre une position nettement plus radicale que celle de l’Amérique. Tous les medias traditionnels : journaux écrits et online, journaux télévisés, chaînes d’information en continu, qualifient l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » d’attaque « terroriste », quitte à reprendre les intervenants qui omettraient de la nommer ainsi.
Autant il est naturel de présenter le désarroi des civils israéliens qui se trouvent victimes d’une situation qu’ils n’auraient jamais imaginé et qui les frappe de plein fouet, autant il est surprenant de constater que les medias français n’évoquent jamais le sort des Palestiniens qui ont dû quitter leurs maisons, et se voir privés de leurs droits depuis 75 ans. Rien non plus à propos des 10 000 prisonniers palestiniens qui n’ont jamais fait l’objet d’un jugement. Cette attitude étonne jusque en Amérique du Nord où, à côté des rassemblements de soutien à Israël, se déroulent sans aucune obstruction des manifestations pro-palestinienne contre l’occupation israélienne.
Une situation totalement inimaginable en France où toute prise de position qui ne condamnerait pas l’attaque du Hamas serait considérée comme une apologie du terrorisme. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ceux qui ont affiché une telle position se voient ultérieurement poursuivis par la justice ou le ministère de l’intérieur.
Seule Michèle Sibony sur RFI a pu se faire la voix de la résistance palestinienne, sans doute parce qu’il aurait été absurde de lui prêter des intentions antisémites. L’ancien résistant Stéphane Hessel l’avait également fait en son temps sur la même chaîne, et pour les mêmes raisons, malgré les questions particulièrement agressives des journalistes.
L’éthique du journaliste exige, non qu’il soit objectif, car cela n’a aucun sens, mais qu’il soit honnête. C’est à dire que, quelles que soient ses légitimes convictions ou ses préférences pour l’un ou l’autre des protagonistes, il laisse chacun s’exprimer sans chercher à influencer d’emblée l’opinion du lecteur ou du spectateur. C’est à ce dernier de se faire une opinion après avoir assisté à un débat équilibré. Helas, depuis quelques années, la déontologie n’est plus véritablement enseignée dans les écoles de journalisme. Les interviewés passent au second plan, la vedette leur étant volée par les intervieweurs qui ne cherchent plus à tirer le meilleur de leurs invités, mais se posent en juges et en inquisiteurs, garant de la « pensée unique » dictée par des propriétaires monopolistiques de medias, devenus des oligarques de l’information.
On comprend alors que la jeunesse ne lise plus les journaux, ne regardent plus la télévision, mais se tournent vers les medias alternatifs qui ont fait une apparition explosive sur youtube ou tiktok, avec tous les dangers que cela comporte, puisque chacun peut désormais se prétendre journaliste sans avoir eu une formation… laquelle d’ailleurs n’existe plus !