ABAYA À L’ÉCOLE : L’ISLAMOPHOBIE SANS VOILE

L’éducation nationale française est au bord de la faillite : Des écoles ferment dans nos campagnes, des enseignants ne sont pas remplacés en cas de vacances, il manque 3 000 postes de professeurs et les classes surchargées se sont transformées en étuves pendant la canicule. Des dizaines de milliers d’élèves vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le métier d’enseignant est dévalorisé, les professeurs, qui ne sont plus formés à la pédagogie, sont désarçonnés face aux problèmes de discipline. Les élèves en situation de handicap ont toujours autant de difficultés à être intégrés au système scolaire. Le niveau scolaire est celui d’un étiage en temps de sécheresse : 23ème au classement Pisa sur 79 pays évalués. Les harcèlements se multiplient à une vitesse exponentielle. Cette semaine, un adolescent de 15 ans s’est suicidé malgré les signalements répétés au cours de l’année.

Il fut reproché à Pap NDiaye, l’ancien ministre, de ne pas avoir pris la mesure de ces réalités.
Alors à la place a été nommé un fringant expert de 34 ans, Gabriel Attal, dont on attendait avec impatience des solutions au parfum de Révolution (Titre de l’ouvrage – profession de foi d’Emmanuel Macron en 2017).
Effectivement, le dimanche 27 août 2023, lors du journal de 20h de TF1, Gabriel Attal nous éclaira de sa lumière : « On ne pourra plus porter l’abaya à l’école ».

Bon, soyons clair, ce n’est pas ce post-adolescent, dont l’expérience en matière d’enseignement se limite aux bancs élitistes de l’Ecole Alsacienne à Paris, qui est l’auteur véritable de cette brillante conclusion. Ancien porte-parole de l’Elysée, la « Voix de son maître » a fait où on lui a dit de faire. Le problème, c’est qu’il semble y croire, lui qui a adressé à une journaliste le message suivant «Bonjour, si vous avez prévu de faire un reportage dans un établissement lundi, sachez que nous avons ouvert les portes de huit établissements partout en France qui sont confrontés au problème de l’abaya. Dites-moi si vous êtes intéressée.» (source Mediapart)

Le problème de l’abaya ? Mais quel problème ? Selon le même Gabriel Attal, le jour de la rentrée, « 298 se sont présentées en abaya, 67 ont refusé de l’enlever » 298 sur… 12 millions d’élèves. Que reproche-t-on à ce vêtement, objet de tant de battage médiatique, porté par 0,0025% des élèves ?
D’être un « vêtement religieux ». Bien. Si cela avait été le cas, il aurait dû être porté par des centaines de milliers d’élèves musulmanes. Alors, pourquoi l’interdire ? L’abaya est simplement un vêtement traditionnel porté dans les pays du Golfe. Rien d’islamique, puisque cette tenue remonte à la culture mésopotamienne, il y a plus de 4000 ans.

Cachez cette culture que je ne saurais voir

Ce qui est vrai en revanche, c’est que son port est une référence à la culture arabe, dans laquelle se reconnaît une partie de notre jeunesse. Alors c’est peut-être le fait de s’inspirer d’une culture venue d’ailleurs qui gêne le ministère ? Mais le jeans, les baskets, le survêtement, la capuche, la casquette ne sont pas des inventions françaises. Elles sont une référence à la culture américaine dans laquelle se reconnaît une partie de notre jeunesse. Pourtant aucun proviseur n’a jamais interdit un blouson « New York Yankees ».

Mettons-nous à la place de ces jeunes, français depuis eux ou trois générations, à qui ont fait sentir qu’il est naturel de se référer à la culture américaine, mais qu’il est honteux de se réclamer de la culture et de l’origine de ses propres parents ! On est en train de fabriquer une génération de révoltés.

Mais, pour le fringant ministre, le doute n’est pas permis : « Les abayas sont des vêtements religieux. Ils doivent être traités comme tels. » Bien. Alors, comment distinguer une robe longue d’une abaya, laquelle peut être noire, blanche, en couleurs, ornées de broderies et de motifs ? Le ministère a suggéré plusieurs indices aux chefs d’établissement : le refus de l’enlever, ou « l’intention » d’en faire un vêtement religieux. Bref, une jeune fille refuse d’enlever sa robe : c’est une islamiste. On laisse imaginer l’humiliation des jeunes filles ainsi ciblées, sans parler de l’attitude machiste qui consiste, encore et encore, à imposer ou interdire aux femmes de s’habiller de telle ou telle façon. Quant à l’appréciation de l’intention, elle est laissée à l’arbitraire des enseignants.

Inutile de jouer sur les mots. Le haro sur cette robe, dont pratiquement personne n’avait entendu parler avant que Gabriel Attal n’en fasse la promotion, est une tartufferie. Elle s’explique par la détestation profonde de la part de nos dirigeants de tout ce qui est plus ou moins rattaché au monde arabe. L’équation arabe = musulman = terroriste nourrit le fantasme raciste post-colonial de cette droite extrême qui gangrène progressivement la France et la politique européenne.

Le comble du sordide a été atteint par le président de la République lui-même : « On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu l’attaque terroriste et l’assassinat de Samuel Patty » a-t-il lancé, sur la chaîne youtube « Hugodecrypte » à un Hugo Travers muet de sidération.
Et pendant ce temps, à New York, qui a, semble-t-il, un peu plus souffert du terrorisme que Paris, on autorise les mosquées à diffuser l’appel à la prière pendant tout le mois de Ramadan.

L’assimilation, par vêtement interposé, de la culture arabe et de l’islam au terrorisme, provoque un haut-le-coeur jusqu’au-delà de l’Atlantique.
La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), un organisme gouvernemental consultatif mandaté par le Congrès américain, évoque une mesure d’« intimidation » visant les musulmans de France, ainsi que vient de le rapporter l’AFP. « La France continue d’utiliser une interprétation spécifique de la laïcité pour cibler et intimider les groupes religieux, en particulier les musulmans », explique Abraham Cooper, qui préside la Commission, dans un communiqué, en jugeant « condamnable de restreindre la pratique pacifique des croyances religieuses des individus pour promouvoir la laïcité »

Et ce n’est pas un hasard si, précisément aux Etats-Unis, on cite aujourd’hui, dans les écoles, la France comme l’un des pays les plus racistes du monde.

Des discours, mais pas de parole

Mais à propos, sur quelle vision de la Nation les Français avaient-ils voté pour Emmanuel Macron en 2017 ? C’était quelques mois seulement après les attentats du 15 novembre 2015. Le candidat Macron dénonçait, sur la chaîne en ligne de Mediapart les risques de dérives islamophobes de la politique française : « Moi, je crois à la loi de 1905. […] La laïcité c’est une liberté. La bataille n’est pas perdue. Si les laïcistes gagnent en mai prochain [aux élections présidentielles – ndlr], je pourrai vous dire que j’aurai perdu cette bataille, mais je pense qu’elle n’est pas perdue. Parce que, au fond, ce n’est pas la laïcité dont les gens parlent. Ce faisant, ils parlent de leur rapport à l’islam. » « La question, poursuivait-il, c’est comment on sort de ça ? On sort d’abord en distinguant les sujets. Bien souvent dans le débat qu’on a sur l’islam, on confond tout. »

Depuis ces belles promesses, il y a eu la dérive électoraliste droitière de la macronie. Et pour les Français, qui avaient cru dans ce discours rassembleur, la saveur amère de la trahison.

L’interdiction de abaya, symptôme de la dérive identitaire de la France

La volonté de régir la tenue des femmes a été une constante de la morale française. De l’interdiction du pantalon au siècle dernier au bannissement du burkini aujourd’hui, la maîtrise de l’apparence des femmes a toujours été une obsession de l’État masculin, parfois hélas avec la complicité de certains mouvements féministes. Tous les prétextes semblent bon pour justifier cette mainmise, et même celui de vouloir défendre la liberté des femmes ! La situation des femmes afghanes est souvent prise à témoin à cet égard, sans d’ailleurs qu’on leur demande leur avis. Et lorsqu’elles sont sollicitées, la réponse n’est pas du tout celle qui était attendue, comme ces jeunes réfugiées interrogées sur le plateau de BFMTV, qui réclament le droit au femmes de porter le vêtement qu’elles souhaitent et contestent tout caractère religieux aux vêtements stigmatisés par le gouvernement français, au grand dam, visiblement de la journaliste.

Finalement, cette abaya est moins le symbole d’un islamisme imaginaire que celui, bien réel, d’une recherche identitaire nourrie par une classe politique en mal de vision et de projet. Une France déboussolée, terrorisée par le spectre de sa propre déchéance, qui croit trouver dans la haine commune d’un facile bouc-émissaire, la solution à sa désagrégation programmée.

La laïcité « à la française » n’est en fait que le prétexte à stigmatiser les musulmans qui sont restés, comme à l’époque de l’empire français, les repoussoirs des nostalgiques de la France coloniale. Cette idéologie revancharde surgit précisément à un moment où le ciment français se délite, avec les contestations massives contre une politique intérieure incohérente, les méthodes autoritaires d’un pouvoir déconnecté du peuple, au moment où la France perd pied sur la scène internationale, notamment en Afrique, et même sur ses propres territoires ultramarins.

Quant au choix vestimentaire, il ne doit relever que de la liberté des femmes de disposer de leur propre corps. Enfin, c’est précisément la laïcité, invoquée ad nauseam par la droite française, qui est ici bafouée, puisque c’est l’État qui s’arroge le droit de décider de ce qui est religieux ou pas.

Pourtant le candidat Macron s’était élevé sans ambigüité contre ce travestissement de la loi de 1905. : « Je ne crois pas qu’il faille inventer de nouveaux textes, de nouveaux règlement pour aller traquer, dans les sorties scolaires, celles et ceux qui portent des signes religieux. Ça, c’est l’erreur à ne pas faire.» disait-il en 2016, alors que la pêche aux voix de droite, laquelle avait été atomisée par l’affaire Fillion, n’était pas encore d’actualité.

Chacun peut finalement trouver son compte dans les déclarations d’Emmanuel Macron, puisqu’il dit tout et le contraire de tout.

On ne peut conclure cette réflexion sur la lamentable histoire de l’abaya sans évoquer le dernier avatar du grand d’importe quoi : les critiques de la politique gouvernementale sur l’abaya seraient… un complot de la propagande turque ! Une info digne du Gorafi reprise par Le Parisien , le Point, le magazine online Atlantico, et toute la presse de droite.

Et Emmanuel Macron se fait siffler par la foule au Stade de France lors du coup de l’envoi de la coupe du monde de rugby. Sa mine sidérée prouve qu’il n’a toujours pas compris pourquoi.

Pourquoi, il suffisait de regarder la cérémonie d’ouverture qui a valu les quolibets des réseaux sociaux et de la presse internationale : la représentation d’une France vieillote, rétrograde, blanche, symbolisée par les cliché ringards les plus éculés: le triporteur, le marcel, la moustache, la casquette, la baguette et le jambon, sans parler du coq grotesque et grimaçant.

Des images qu’affectionnent sans doute les hérauts de cette France raciste et nombriliste qui sent la naphtaline, mais une France dont les Français ne veulent plus.

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