DEUX QUESTIONS AU SUJET DE LA GUERRE CONTRE L’IRAN

Par Roland Laffitte
Chercheur et essayiste, président de la Société d’Études Lexicographiques et étymologiques françaises et arabes

Les acteurs de la guerre contre l’Iran ne sont pas avares de justifications. Laissons de côté la discussion sur la « nature dictatoriale » de l’Iran contemporain, sur l’oppression des femmes et l’exécution preste des opposants – difficiles à contester , qui seraient des motifs suffisants pour s’en prendre militairement à ce pays et à son régime. Mais dans l’éventail des dictatures, dans l’oppression des femmes et l’exécution des opposants, d’autres pays, avec lesquels les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe, Russie comprise, n’hésitent pas à faire les yeux doux dès l’instant où ils peuvent leur vendre des armes, font à l’Iran une sérieuse concurrence !


Abordons ici deux autres questions soulevées à propos de cette guerre, qui vaudraient condamnation irréfragable de « l’Iran des mollahs », expression qui suffit à exprimer un épais mépris, celle du slogan « la paix par la force », et celle de l’invocation de la « légitimité de cette guerre ».


Sur « la paix par la force »


Après la défaite cinglante de la politique de « paix par le force » menée au Vietnam, le « Let’s Make America Great again » de Reagan, s’est traduit par le « Project for a New American Century » des néo-conservateurs.
Voilà qui a donné, dans un Proche & Moyen-Orient où l’Empire étasunien s’est donné a hérité de l’ordre impérial franco-anglais de 1919-1923 qu’il s’est mis à faire fonctionner à son profit, les chaos et les déroutes de l’Iraq et de l’Afghanistan.
En réaction à ces fiascos, un nouveau « Make America Great Aagain », celui de Trump qui, tiré par la manche pour appuyer le vieil ordre impérial cette fois au bénéfice d’Israël, l’enfant chéri commun des alliés euro-nordaméricains…
Aujourd’hui, une nouvelle version de la politique de « paix par la force » au Proche et Moyen-Orient.
Voulez-vous savoir la suite ? Probablement jamais deux sans trois.


Sur la « légitimité » de la guerre


Voilà une nouvelle rengaine : Les attaques israélo-étasuniennes contre l’Iran ne sont peut-être pas licites du point de vue du droit international, mais elles seraient légitimes. Cela dit sur le mode mineur par le Français Emmanuel Macron et bien d’autres, mais affirmé brutalement, sans diplomatie, par l’Allemand Friedrich Merz quand il dit qu’Israël « a fait le sale boulot ». « Légitime, cette guerre », mais pourquoi ?


Tout d’abord, il y a d’un côté l’Iran : on l’accuse de ne pas avoir respecté lui-même l’accord conclu à Vienne en 2015 sur le nucléaire, quand il en enrichit l’uranium à 60%. Mais qui a rompu cet accord si ce n’est Donald Trump en 2018 ? Il y a d’un autre côté, Israël : ne s’est-il pas donné la bombe que l’on refuse à l’Iran ‒ lequel n’a même pas, selon l’AIEA, formellement décidé de sa fabrication ? C’est vrai, mais Israël n’a pas signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968, et n’y est donc pas tenu alors que l’Iran, oui… Arguties sans fin et sans intérêt.
Plus important : l’Iran est suspecté de vouloir « détruire Israël ». La vérité est que l’Iran, qui n’a jamais reconnu Israël, comme bien d’autres pays, parle expressément d’élimination du « régime sioniste » ‒ en farsi : رژیم صهیونیستی   regim sahiunisti ‒ et nonنابودی کشور اسرائیل   nabuda keshor Isra’il, « destruction du pays d’Israël ‒, non « rayer Israël de la carte », comme cela est journellement rabâché de façon mensongère par la propagande israélienne (voir à ce sujet l’article du Point d’Armin Arefi de 2012 : https://www.lepoint.fr/monde/iran-ahmadinejad-n-a-jamais-appele-a-rayer-israel-de-la-carte-26-04-2012-1455392_24.php#11). Cela ne démange-t-il pourtant pas les Israéliens de vouloir pour l’Iran ce que l’on nomme aujourd’hui, à la suite des néoconservateurs étasuniens, un regime change ? Quant au on ne peut plus « pacifiste » Donald Trump, n’a-t-il pas, lors de son premier mandat, menacé les Coréens du Nord de « détruire leur pays » ? C’est pourquoi ces mots ne sauraient suffire pour décrire, dans l’esprit des sionistes et de leurs défenseurs, l’horreur absolue des desseins diaboliques de l’Iran : il faut donc proclamer que la formule fallacieuse de la « destruction d’Israël » signifie de façon univoque et indiscutable l’« extermination du peuple juif ». L’accusation fut portée hier ‒ chantage à la Shoah exige ! ‒, contre l’Égypte de Nasser en 1967 puis de Sadate en 1973, puis contre l’Iraq de Saddam Hussein en 1991 et 2003. Nihil novi…


Quelle réalité se cache donc derrière cette « défense légitime » de l’État d’Israël, proclamé en état de « légitime défense » ? Israël est, on le sait, l’enfant chéri quelque peu remuant – comme l’étaient les Pieds noirs dans l’Algérie « française » – de l’ordre impérialiste né du couple franco-anglais en 1916-1923, continué et révivifié en 1945 par les États-Unis qui ont relégué depuis 1956 les vieilles puissances au rang de vassaux – parfois ronchons, mais quand même soumis. Or, il importe qu’il reste, coûte que coûte, la seule puissance au Moyen-Orient. Après la destruction – là, le terme est parfaitement approprié ‒ de l’Iraq, puis l’annihilation du Liban et de la Syrie, il est logique de s’en prendre à l’Iran. À qui le tour demain ? Que la Jordanie et l’Égypte, aujourd’hui dociles, se gardent bien de dormir des deux yeux : voici à quel sort les vouaient dans son programme de 1982 et donc écrit après les accords de Camp David, le Likoud, le parti de Benjamin Netanyahu dont on sait qu’il a pourtant plus enragé que lui :
« La tactique l’Israël, soit militaire, soit diplomatique, doit viser à liquider le régime jordanien et à transférer le pouvoir à la majorité palestinienne »
« Démanteler l’Égypte, amener sa décomposition en unités géographiques séparées : tel est l’objectif politique d’Israël sur son front occidental »

(Voir Yinon, Oded, « Stratégie pour Israël dans les années 1980 », communiqué par Israël Shahak, président de la Ligue israélienne des Droits de l’homme, à la Revue d’études palestiniennes, dans laquelle il parut dans le n° 14 (février 1982). Repris s.t. « Une stratégie persévérante de dislocation du monde arabe », dans Confluences Méditerranée, n° 61 (2007/2), 149-164, en l’occurrence « Présentation », 150 & 153.


Seule est donc « légitime » la bombe israélienne, présentée comme celle d’un « pays démocratique » défendant la civilisation contre les barbares. Tout le monde a, soit dit en passant, loisir de voir à Gaza ce que valent cette « démocratie » et cette « civilisation »…
Seul est donc « légitime » au Moyen-Orient, aux yeux des pays de l’aire euro-nordaméricaine, le vieil ordre international prétendument « occidental » dont Israël est partie prenante et le sicaire impétueux. Mais que pensent les peuples des pays qui ne font pas partie de cette prétendue « communauté internationale », qui résumerait l’opinion de la planète entière ?
 
 
Voir le site www.rolandlaffitte.site

Lire aussi

LE RAPPORT « FRÈRES MUSULMANS ET ISLAMISME POLITIQUE EN FRANCE» : UN « PROTOCOLE DES SAGES DE SION » VERSION ANTI-MUSULMANE

Un jeune auteur envoya un jour son manuscrit au grand écrivain anglais Samuel Johnson, en …