OUZBÉKISTAN : L’EUROPE BAFOUE LE DROIT POUR SANCTIONNER LA RUSSIE

Alicher Ousmanov

C’est une bien étrange affaire qui vient de trouver son dénouement cette semaine en Allemagne, et qui met à jour une dérive inquiétante de la justice européenne, prête à bafouer les droits fondamentaux pour prouver qu’ils participent efficacement aux sanctions contre la Russie.
Non seulement les sanctions économiques contre la Russie n’ont pas eu l’effet escompté, mais elles ont entraîné les pays européens à s’égarer au-delà des limites de la légalité démocratique.

Un exemple flagrant vient de défrayer la chronique dans la presse allemande.
En avril 2022, la gynécologue ouzbèke Gulbakhor Ismailova a été placée sous sanctions par l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis pour la simple raison qu’elle était la sœur du milliardaire russo-ouzbek Alicher Ousmanov, objet de sanctions internationales après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, en raison de sa proximité présumée avec le président russe Vladimir Poutine, ce que M. Ousmanov a d’ailleurs toujours nié.
Les sanctions contre le Dr Ismailova étaient initialement basées sur des allégations selon lesquelles elle serait la propriétaire d’actifs liés à son frère. En novembre 2024, le journal allemand Tagesspiegel avait en effet publié un article sur Ousmanov concernant la propriété présumée de biens immobiliers sur le lac Tegern, le yacht Dilbar et des irrégularités présumées dans l’acquisition d’actifs en Russie. L’article accusait également sa soeur d’avoir servi à cacher ses actifs pour échapper aux sanctions européennes. C’est uniquement sur la foi de cet article que les autorités allemandes et européennes ont appliqué des sanctions contre la gynécologue.

En fevrier 2024, Gulbakhor Ismailova perdait une bataille juridique visant à annuler les sanctions de l’UE à son encontre. Pourtant, afin de prouver sa bonne fois, elle avait volontairement et irrévocablement renoncé à ses droits à bénéficier des trusts familiaux.


La « responsabilité de clan », une notion héritée des heures sombres de l’Allemagne


En fait, l’amalgame fait entre le Dr Ismailova et son frère s’appuient l’une des notions les plus controversées de la tradition juridique germanique. Celle de « responsabilité du clan » (Sippenhaftung en allemand), qui permet de sanctionner toute une famille pour la faute de l’un de ses membres. La responsabilité pénale sans avoir commis un délit est contraire à tous les fondamentaux du droit, mais subsiste encore en Allemagne, bien qu’elle ait été largement utilisée dans les heures les plus sombres de l’Europe, et notamment par le parti nazi à l’égard de ses opposants ou des résistants.

Cette dérive juridique a été remise en goût du jour, car elle permet d’exercer des pressions sur la Russie avec un semblant de légalité. Près de 2400 personnes et organisations soupçonnées d’être liées à la Russie ont été sanctionnées de cette façon par l’UE depuis la guerre en Ukraine. Entre autres, le pilote de Formule 1 Nikita Mazépine, âgé de 22 ans, sanctionné parce qu’il est le fils d’un magnat russe des engrais, l’ex-femme du banquier russe Mikhaïl Fridman, Olga Aisiman , Pavel Ezoubov, le fils du député de la Douma Alexeï Ezoubov, lui-même oncle du milliardaire russe Oleg Deripaska.
Pourtant, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a rappelé que « la responsabilité du clan » est interdite en raison du principe de culpabilité individuelle.

La plupart de ces sanctions ont finalement été jugées illégales par la Cour de justice de l’UE. Par exemple, sur la base de la décision de la Cour de justice de l’UE, l’Union européenne a dû lever les sanctions à l’encontre de Violetta, la mère de Evgueni Prigogine, fondateur de la société militaire privée Wagner, étant donné l’impossibilité de trouver un lien quelconque entre elle et le business de son fils. D’ailleurs, l’une des sources de ces informations était Wikipédia !


Le soutien inconditionnel de l’UE à l’Ukraine conduit souvent celle-ci à prendre des libertés avec le droit. Ainsi, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit notamment toute discrimination fondée sur la nationalité. Pourtant, plusieurs universités françaises ont suspendu leur coopération avec leurs homologues russes, et plusieurs banques françaises ont fermé ou bloqué les comptes de clients d’origine russe. Ainsi, des citoyens russes, vivant en Europe pour des raisons d’ordre professionnel ou privé, se sont retrouvés victimes de mesures arbitraires sur la seule base de leur nationalité.

Les allégations concernant Gulbakhor Ismailova, ainsi que celles concernant son frères se sont naturellement révélées fausses. Après avoir reçu une lettre des avocats d’Ousmanov, le quotidien allemand a retiré l’article mais a refusé de s’abstenir de diffuser à nouveau de telles déclarations . Les avocats d’Ousmanov ont poursuivi le journal allemand en justice et ont gagné le procès.


Le Tagesspiegel condamné


Le 10 février 2025, le tribunal régional de Hambourg a condamné le Tagesspiegel en imposant une interdiction de diffusion de fausses déclarations sur le patrimoine et l’origine de la fortune d’Alicher Ousmanov. « Ces déclarations, qui se sont avérées diffamatoires, étaient l’un des éléments sur lesquels l’UE a fondé ses justifications pour imposer des sanctions à l’encontre de l’homme d’affaires russe d’origine ouzbèke lors des enquêtes menées en Allemagne », a déclaré l’avocat du milliardaire.

Le tribunal a interdit au Tagesspiegel de diffuser des informations erronées sur l’origine de la fortune d’Ousmanov, ainsi que sur ses biens, notamment le yacht Dilbar. La décision judiciaire est pertinente pour le statut des sanctions de l’UE à l’encontre d’Ousmanov, car les motifs des sanctions à son encontre reposent sur des allégations similaires.
L’imposition de sanctions de l’UE à l’encontre d’Alicher Ousmanov en 2022 avait été également fondée sur un article de presse, le magazine américain Forbes selon lequel l’homme d’affaires avait fait « l’office de façade » pour le président russe Vladimir Poutine et « résolvait ses problèmes dans le domaine des affaires ». Cependant, il y a un an, le tribunal régional d’Hambourg avait aussi interdit au magazine de diffuser ces informations en les estimant diffamatoires et non étayées.
« Cette décision révèle un grave problème : le Conseil de l’Union européenne ne fait que donner suite au mensonge et fonder ses sanctions sur celui-ci. Cette pratique adoptée par l’UE conduit à ce que la presse soit de plus en plus souvent impliquée dans les procès judiciaires. » a regretté Joachim Steinhöfel, l’avocat d’Ousmanov.

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