LE RAPPORT « FRÈRES MUSULMANS ET ISLAMISME POLITIQUE EN FRANCE» : UN « PROTOCOLE DES SAGES DE SION » VERSION MUSULMANE


Un jeune auteur envoya un jour son manuscrit au grand écrivain anglais Samuel Johnson, en lui demandant ce qu’il en pensait. Samuel Johnson le lui renvoya avec ce commentaire : « Votre manuscrit est à la fois bon et original. Malheureusement ce qui est bon n’est pas original, et ce qui est original n’est pas bon ».

Telle est à peu près l’appréciation que l’on pourrait délivrer à ce rapport qui n’est, finalement qu’un assemblage de faits que personne n’ignore, associé à une compilation d’auteurs tels que l’ineffable Florence Belgeaud-Blacker, Gilles Kepel, et les « arabes de service » Mohamed Sifaoui et Mohamed Louizi, qui ont fait leur fond de commerce d’une prétendue menace fantasmée des fameux « frères musulmans ».
On pourrait à la rigueur faire preuve d’un peu d’indulgence si ce texte avait été rédigé par un élève de première année d’école de journalisme – quoiqu’il n’aurait certainement pas mérité la moyenne- mais c’est un rapport qui se veut sérieux, commandé par l’ancien ministre de l’intérieur et actuel ministre de la justice Gérald Darmanin.

Le sociologue et politologue Vincent Greisser a refusé, avec quelques autres, de répondre aux questions des « enquêteurs » du rapport : « J’ai refusé de participer à cette consultation parce que, contrairement à toute déontologie, la conclusion du rapport était posée par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avant même que l’enquête, l’investigation commence. Ce rapport, d’entrée, répondait à une commande politique, à tel point que le ministre Darmanin a même déclaré : Quel que soit le contenu du rapport j’appliquerai des mesures restrictives, sécuritaires contre ce mouvement dit des Frères musulmans. Outre le fait que les conclusions du rapports étaient posées avant même l’investigation, il s’agissait tout simplement de prouver que ces « frères musulmans » étaient dangereux parce qu’ils avaient un projet de remise en cause de l’État, d’infiltration, de déstabilisation».

Ce rapport n’est finalement qu’un document bâclé, avec de rares éléments exacts, mais connus de tous, disséminés dans un galimatias de poncifs semé de grossières erreurs, de renseignements imprécis, d’affirmations gratuites. Une sorte de Wikipedia de qualité médiocre, comme le qualifie Vincent Greisser.
Mais au-delà de son inanité, ce qui est interessant, c’est l’exploitation qui en est faite par le gouvernement Retailleau, lequel brandit ce papier en clamant haut et fort qu’il détient désormais la preuve que l’islamisme tisse sa toile pour détruire de l’intérieur les valeurs de la République. Insanité née du délire obsessionnel d’un politicien suprémaciste qui instrumentalise cette soit-disant enquête pour justifier de futures mesures discriminatoires. Aussitôt après sa parution, l’excellent lycée Ibn Khaldoun de Marseille, associé sans aucune preuve au frérisme, s’est vu immédiatement retirer ses subventions. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage.

Il ne faut cependant pas s’en étonner. La genèse même du rapport ne permettait pas d’espérer autre chose qu’un pamphlet digne des « Protocoles des sages de Sion », version musulmane.
Rappelons que ces derniers, parus pour la première fois en Russie en 1903, et qui circulèrent ensuite abondamment en Europe, et continue à s’échanger aujourd’hui sous le manteau, se présentaient sous la forme d’un compte rendu d’une soit-disant réunion secrète où juifs et francs-maçons exposaient leur plan de conquête du monde. Ce texte antisémite se révéla bien entendu un faux, copie presque conforme d’un pamphlet satirique de 1864 : le « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » de Maurice Joly, qui décrivait un plan fictif de domination mondiale par Napoléon III.

On se souvient que Gérald Darmanin avait accusé le footballeur Karim Benzema de frérisme parce qu’il avait, en octobre 2023, publié sur X un message de soutien aux habitants de Gaza, victimes de « bombardements injustes ». Le ministre de l’Intérieur avait alors avancé que cette prise de position s’expliquerait par sa proximité avec les frères musulmans. « Karim Benzema est en lien, on le sait tous, notoire, avec les Frères musulmans, nous nous attaquons à une hydre, que sont les Frères musulmans parce qu’ils donnent un jihadisme d’atmosphère », avait-il déclaré. Lorsque le journaliste Yves Calvi lui demanda des preuves, le ministre répondit que c’était à Benzema « de prouver le contraire ». Rappelons à ce propos un petit « truc » sémantique : lorsque quelqu’un emploie des expressions telles que « Tout le monde sait que », « il est notoire que », « il est de notoriété publique que », on est certain que ce qui suit sera une affirmation arbitraire.


En 2024, la plainte en diffamation de Karim Benzema contre le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, est classée sans suite par le procureur général près la Cour de cassation. Naturellement, le fait que celui-ci doive sa nomination à Emmanuel Macron n’a aucun rapport avec cette décision. C’est à ce moment que le ministre décore l’anthropologue Florence Belgeaud-Blacker, connue pour sa psychose monomaniaque des frères musulmans. Contestée par ses pairs sur la pertinence de ses méthodes, elle fait appel à son ami Darmanin, qui décide de lancer le rapport sur les frères musulmans. Comme le fait remarquer l’historien Sadek Sellam, « les auditions serviront de sondage pour évaluer la proportion de chercheurs d’accord, en partie où entièrement, avec cette drôle d’anthropologue ». Elles serviront surtout à fournir un semblant de preuve à ses extravagances.

Toujours est-il que la presse française s’est aussitôt emparée de ce rapport pour alimenter ses chimères islamophobes, sans chercher le moins du monde à en vérifier les informations. Les années passent, les cibles changent, mais les méthodes restent les mêmes.
Alors, qu’est-ce qui ne va pas dans ce rapport ?


Une méthodologie anti-académique

En premier lieu, c’est un rapport uniquement à charge. Il fait entrer pêle-mêle une flopée de personnes dans ce qu’il nomme « l’écosystème frériste », une formulation vague qui permet d’insinuer, de laisser entendre, sans affirmer réellement, et donc sans qu’il soit besoin de fournir de preuve. Aucune parole des personnes incriminées n’a été restituée, quand bien même elles ont été interrogées. Par exemple, Mohsen Ngazou, président de Musulmans de France, et directeur de l’établissement scolaire Ibn Khaldoun, est présenté comme membre des Frères musulmans, ce qu’il réfute. Son point de vue n’a pas été pris en compte et seul l’a-priori de l’enquêteur a été retenu.

Cet artifice permet ainsi de classer feu le Pr. Hamidullah dans « l’écosystème frériste ». Il aurait « islamisé » les populations immigrées maghrébines des années 50. Affirmation presque risible. Ces migrants étaient évidemment musulmans, « venant de régions reculées ou la France avait négligé d’ouvrir des écoles et avaient tous fréquenté l’école coranique . Qu’aurait-on souhaité, qu’ils deviennent Mazdeens ou Zoroastriens a leur arrivée a Marseille ? » s’amuse Sadek Sellam, qui précise le parcours remarquable du Pr. Hamidullah : « En 1952, il a fait partie de l’élite qui a ouvert le Centre Culturel Islamique de Paris et a animé une université ouverte a la Sorbonne avec l’aide de Massignon, Massé, Laoust, Berque,. etc,…. Il s’agissait alors de répondre a l’importante demande de connaissance sur l’islam suscitée par l’aggravation de la situation au Maghreb. Hamidullah a été admis au CNRS avec des recommandations très élogieuses de Gaudefroy-Demonbynes et de Massignon qui sont consultables aux archives. Au CNRS, il dépendait du général Pierre Rondot. Rondot, Massignon, Berque, étaient-ils des « naïfs  » qui n’auraient pas eu le flair de Kepel ou de Madame Belgeaud-Blacker ? Citer H amidullah en continuant d’ignorer son parcours relève de la malhonnêteté. »

Autre cible , l’imam Hassan Iquioussen, expulsé en 2022, dont rapport accuse « le caractère antirépublicain » et l’antisémitisme. Or on peut défier quiconque de trouver dans les prêches d’Iquioussen, qui sont d’ailleurs tous disponibles sur les réseaux sociaux, la moindre parole anti-républicaine. Au contraire, il insiste sur la nécessité de respecter les lois de son pays, et fustige, comme des pratiques non musulmanes, la discrimination envers les femmes, l’obligation de se vêtir de telle ou telle façons, etc.. Ce sont justement ses démonstration de la compatibilité totale entre l’islam et la république qui lui ont valu, sur les réseaux sociaux, les insultes de quelques intégristes incultes. Quand à l’antisémitisme, le rapport reprenant, sans nuance, l’amalgame officiel entre anti-sionisme et antisémitisme, celui-ci est attribué à Iquioussen pour la seule raison qu’il s’élève contre les massacres de la population de Gaza. Alors, pourquoi avoir expulsé un tel imam républicain qui compta d’ailleurs jadis Gerald Darmanin parmi ses proches. Au delà d’un différend financier qui aurait existé entre les pères des deux hommes, cette expulsion est, pour les musulmans un avertissement : quoi que vous fassiez, même si votre discours correspond au nôtre, nous ne voulons pas de vous. Au contraire. la droite française veut prouver l’incompatibilité de l’Islam et de la France. Des gens comme Iquioussen sont dangereux car ils démontrent le contraire. Seuls des personnages comme Chalghoumi sont admis car ils affichent une image grotesque du musulman. D’autres passent entre les mailles du filet : Ghaleb Bencheikh car, grand intellectuel, il apparaît comme exogène à la communauté musulmane considérée comme inculte, et Mohamed Bajrafil, car protégé par son statut de diplomate comorien.



Une dialectique orientée

On l’a dit, le fait que ce rapport soit un travail de commande, avec un objectif prédéfini, l’écarte de toute objectivité. Aux antipodes d’un travail universitaire sérieux, il s’agit en réalité d’un montage idéologique qui fait abstraction de tout élément contradictoire, et se nourrit de biais sémantiques, comme les allusions à l’islamophobie, traitée ici, non comme une réalité de terrain, mais comme une simple construction idéologique héritée des frères musulmans. Le mot est toujours placé entre guillemets, renforcés par l’expression prétendue « islamophobie ». La notion d’islamophobie d’État est présenté comme une croyance, un concept piégé, une forme de victimisation. « La lutte contre l’ « islamophobie » constitue l’un des leitmotifs des frères musulmans, qui utilisent le concept pour discréditer les mesures inspirées par le principe de laïcité, présentés comme relevant d’un « racisme d’État » visant les musulmans et dénoncer les politiques de lutte contre la radicalisation violente et le séparatisme islamiste. » Un texte que l’on croirait dicté par Gérald Darmanin lui-même.

Le rapport consacre un encadré à une prétendue « généralisation du voilement des petites filles dès l’âge de 5-6 ans ». Une affirmation gratuite, qui ne repose sur aucune étude statistique ni méthodologie sociale. Elle ne fait que donner un semblant de légitimité au discours de l‘ancien premier ministre Gabriel Attal, qui vient de faire de ce stéréotype son nouveau cheval de bataille, utilisant ce raccourci simpliste comme démonstration d’un imaginaire endoctrinement religieux. «Ce que montre le rapport qui a été remis, c’est une offensive salafiste pour imposer le voilement de fillettes de cinq, six ans. Qu’est-ce qu’on fait en face de ça ? Moi, j’entends un certain nombre de commentaires. Qu’est-ce qu’on fait ? On dit que ce n’est pas bien, que ce n’est pas normal que des fillettes de cet âge soient voilées, mais on considère qu’il n’y a pas de mesures pour y répondre ? Moi, je n’ai jamais accepté de me résigner. » vocifère le jeune ex-ministre.

Enfin, le rapport cible le tissu associatif et les établissement d’enseignement.
Or, c’est précisément le rôle des acteurs locaux de créer des associations pour compenser les carences institutionnelles. Pourquoi s’étonner que dans un quartier à la population majoritairement issue de l’immigration, ce soient des animateurs issus de cette même population qui créent des associations sportives et culturelles, et pour quoi les soupçonner d’on ne sait quels noirs desseins ? Pourquoi cible-t-on les écoles fondées dans les quartiers à majorité musulmane, le plus souvent des établissement d’élite, qui utilisent par exemple la méthode singapourienne d’enseignement des mathématiques, prodiguent des cours d’anglais, d’arabe et de chinois dès les classes primaires, organisent des ateliers de permaculture et de protection de la bio-diversité ? Peut-être justement parce que l’on ne souhaite pas avoir sur notre territoire des musulmans éduqués, porteurs de valeurs humanistes. C’est la raison pour laquelle les établissements dits «musulmans » ou acceptant le hijab sont l’objet de contrôles systématiques, de suppression de subventions et même de fermeture. Depuis le rapport, deux établissement d’exceptions sont actuellement menacés.
Le danger de cibler les associations, à moins que ce n’en soit l’objectif caché, est de priver les jeunes d’accès à des activités ludiques, d’opportunités d’ouvertures aux autres, et de la possibilité de s’éloigner des tentations qui pullulent dans certains quartiers défavorisés.

Finalement, ce rapport est tout à fait l’expression d’un dessin humoristique qui circule actuellement sur les réseaux sociaux, avec la légende suivante : « Lorsque les musulmans restent entre aux, c’est du séparatisme, s’ils cherchent à s’intégrer, c’est de l’entrisme ».


La communauté musulmane scandalisée

Les réactions des leaders de la communauté musulmane ont été unanimes : « Toute la communauté musulmane est mise à l’index » a réagi Kamel Kabtane, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, pourtant considéré comme porteur d’un message républicain : « Nous avons été très surpris de la façon dont ce rapport a été diffusé et la force de la communication qui l’a précédé et qui continue aujourd’hui », a-t-il déclaré, ciblant directement le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. L’école Al Kindi, de Décines, visée par le rapport et qui a vu ses subventions supprimées est « une école d’excellence. Elle a été soutenue par Nicolas Sarkozy, elle a 93% de taux de réussite au bac avec plus de 70% de bonnes notes. Il y a 150 personnes de cette école qui sont ingénieurs, médecins. Le ministère de l’Intérieur l’a même reconnu durant le procès portant sur le contrat entre l’établissement et l’État. » s’étonne le recteur qui craint une fermeture pure et simple par les services du gouvernement. « On ne peut plus s’étonner de rien, on a le droit de vie ou de mort sur les musulmans en France », constate Kamel Kabtane.

« ll est des moments de l’Histoire où la raison chancelle, où la République, pourtant érigée sur les fondations de la justice et de la lucidité, cède aux facilités de l’obsession. Le rapport récemment publié sur les Frères musulmans, émanation glaçante des cercles gouvernementaux, en est l’une de ces preuves sinistres. Il ne vise pas à informer, mais à désigner. Il ne cherche pas à comprendre, mais à isoler. Et dans cette mécanique inquisitoriale, c’est l’âme même de notre pacte républicain que l’on assassine. » assène Chems Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, jugé proche d’Emmanuel Macron.

Pourtant, le rapport l’avoue sans ambage : « A date, le cercle restreint de la branche française des frères musulmans serait estimé selon des observateurs attentifs de la mouvance à 400 personnes et un maximum de 1 000 personnes. » Sur 60 millions de Français ! Franchement, pas de quoi fouetter un chat… ni un musulman !

Mais peu importe. Comme l’avait annoncé Gérald Darmanin au moment de son lancement, ce rapport, quelles que soient ses conclusion, servira à justifier une politique plus sécuritaire et discriminatoires à l’égard des musulmans. Toutefois, dans certains milieux proches du président de la République, on commence à s’inquiéter de ces dérives racistes qui pourraient un jour ou l’autre compromettre l’unité du pays. Les députés convoqués par Emmanuel Macron au conseil de défense ont estimé ce rapport « Islamophobe », « contreproductif », « pas sincère ». Le conseil de défense ma même mis en garde contre une « menace pour la cohésion nationale » avec le développement d’un islamisme « par le bas ». Un revirement de la politique macronienne à cet égard n’est pas forcément une vue de l’esprit. Les récentes déclaration d’Emmanuel Macron sur Gaza, ses tentatives de rapprochement avec le président azerbaïdjanais Aliyev, l’évolution du discours journalistique de chaînes nationales comme LCI sur la politique de Netanyahu, sont peut-être des indices d’un changement futur de perspective. Il faut le souhaiter, et souhaiter qu’on enterre au plus vite cet inutile et médiocre brûlot qu’est ce rapport  « Frères musulmans et islamisme politique en France »

Jean-Michel Brun












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