CHARLIE HEBDO : ANATOMIE D’UNE IMPOSTURE

Ce n’est pas un hasard si le titre de cet article est emprunté au passionnant livre de Sophie Bessis « La civilisation judéo-chrétienne : anatomie d’une imposture ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La récupération d’un drame épouvantable, par des lobbies politiques qui ont instrumentalisé à leur profit la mort tragique de dessinateurs de talent comme Cabu et Wolinski, est juste à vomir.
Et ceux qui, de toute bonne foi, on arboré le badge « Je suis Charlie », en soutien, pensaient-ils, à la liberté d’expression, ont été tout simplement manipulés à leur insu.

Les étudiants que nous étions dans les années 60 attendaient avec impatience la parution du dernier numéro d’Hara-Kiri hebdo, ce journal satirique, fleuron d’une gauche drôle, intelligente et iconoclaste. Les dessins de Gébé, Siné, Wolinski, Reiser, les éditos de Cavanna, les outrances du professeur Choron, nous insufflaient une sensation de liberté au sein d’une société alors verrouillée par la « bien-pensance ». En 1970, le magazine fut interdit en raison d’une couverture sur la mort du Général de Gaulle jugée insultante envers le chef de l’État. Il renaquit aussitôt de ses cendres sous un nouveau titre : Charlie Hebdo, qui poursuivit son oeuvre de résistance à l’ordre établi.
38 ans plus tard, l’un des fondateurs de Charlie Hebdo, Siné, était licencié par le nouveau directeur du magazine, pour un article… jugé insultant envers le chef de l’État !
Que s’est-il passé pour en arriver là ?

Un étrange personnage

A partir de 1970, la rédaction de Charlie Hebdo continua son combat iconoclaste contre l’ordre établi, mais souffrit d’une gestion tout aussi peu conformiste. Fin 1981, l’hebdo dépose le bilan. Le titre est repris par Philippe Val.
Qui est Philippe Val ? Un étrange personnage en vérité. Humoriste, alors réputé de gauche, il fut l’acolyte du chansonnier et auteur Patrick Font avec lequel il forma le fameux duo « Font et Val », à l’humour impertinent et caustique. Le duo cessa lorsque Patrick Font fut accusé d’attouchements sur des adolescentes élèves de l’école de théâtre qu’il avait fondée. Au tribunal, celui-ci dédouana son équipier d’éventuelles complicités dans cette affaire, mais manifestait curieusement en privé une haine tenace contre son ancien camarade.
Dès sa reprise du titre, Philippe Val opère un surprenant volte-face, et affiche ouvertement sa haine de l’islam, tandis qu’il se met à défendre vigoureusement la colonisation française. Il écrit, dans son livre « Le malaise de l’inculture », paru en 2015 : « La colonisation, aux yeux des anticolonialistes d’aujourd’hui, a commis un crime autrement plus grave . Bon gré mal gré, elle a exporté des idées des Lumières, celles qui rendent désirables et nécessaires l’accès à la culture, le respect des droits fondamentaux, de la vie privée, l’instauration d’une démocratie représentative. […] Cet anticolonialisme reproche à la colonisation d’avoir donné à des Arabes, des Africains, des Indochinois, le goût de la démocratie et de la culture, […] de leur avoir fait entrevoir une autre forme de vie plus douce, plus désirable peut-être ». Hallucinant.

Sous sa direction, le ton de Charlie Hebdo change radicalement. L’impertinence à l’égard du pouvoir manifestée bruyamment par l’hebdo historique laisse la place à une complaisance qui va notamment conduisir à l’éviction de Siné évoquée plus haut. Plus étrange est le prétexte invoqué : celui de l’antisémitisme. En réalité, Siné se moquait simplement des tribulation de l’un des fils de Nicolas Sarkozy : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »
Siné gagne d’ailleurs son procès contre l’hebdo qui doit lui verser 90 000 euros d’indemnités.

Un volte-face en direction de la droite islamophobe

Cet épisode n’était en réalité que la partie émergée de l’iceberg. L’hebdo entame une série d’articles et de couvertures qui reflètent une véritable obsession anti-musulmane, et également anti-palestinienne. L’affaire des « caricatures de Mahomet » en 2006 est en quelque sorte le point d’orgue de cette campagne nauséabonde. La publication des caricatures danoises attire un nouveau public : celui de la droite islamophobe. Elle booste les ventes de Charlie Hebdo qui triplent en une semaine. Face aux protestations des associations musulmanes, et de nombreux intellectuels français, douze « personnalités », dont Val bien sûr, mais aussi Caroline Fourest et Bernard-Henri Levy, signent une pétition en faveur de l’hebdo. La Ligue des Droits de l’Homme dénonce aussitôt ce texte.

Cette nouvelle ligne éditoriale, soutenue par les medias de droite, remplissent les caisses de l’hebdo qui va engranger en 2006 près d’un million d’euros de bénéfices, dont 85% sont immédiatement partagés entre les actionnaires. Philippe Val et Cabu touchent 330 000 euros, Bernard Maris 110 000 euros et Éric Portheault, responsable financier, 55 000 euros. Cavanna ne touchera rien de ce butin.

Pour Val, sa servitude à l’égard du pouvoir va être rapidement récompensée. Le 12 mai 2009, Nicolas Sarkozy le fait nommer à la tête de France Inter, où il s’illustrera par le licenciement de Stéphane Guillon et Didier Porte, pourtant en tête de l’audience de la station, en raison de leurs chroniques corrosives sur le président de la République. Puis ce sera le tour de l’humoriste Gérald Dahan qui est écarté après une chronique hostile à la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie. Radio France sera condamné à leur verser de lourdes indemnités.

C’est Charb qui reprend les rênes de Charlie Hebdo, sans reprendre intégralement la ligne raciste de Val. Il s’ensuit une forte baisse des ventes qui culmine à 58 000 exemplaires contre 400 000 exemplaires à l’époque des « caricatures de Mahomet ».

Le 7 janvier 2015, deux individus pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo et ouvrent le feu, faisant de nombreuses victimes parmi les rédacteurs et les dessinateurs du journal. Cet attentat, revendiqué par la suite par Al Qaida au Yemen, reste encore assez mystérieux quant à son origine réelle, ses motivations, et ses auteurs.

Cet attentat entraine naturellement une vague de soutien au journal et à la liberté d’expression. Le numéro suivant de Charlie Hebdo est tiré à 5 millions d’exemplaires, un record absolu dans l’histoire de la presse périodique. Ces ventes engendrent pour le journal un bénéfice de 12 millions d’euros auxquels s’ajoutent plus de 4 millions d’euros de dons. La répartition de ces bénéfices provoquera une action en justice de la part de l’épouse d’une des victimes de l’attentat, accusant l’hebdo de détournement de ces fonds qui auraient dû être reversés aux familles des victimes.

Suite à ce drame, les médias lancèrent la célèbre campagne « Je suis Charlie », en même temps que les l’hebdo renouait, sous la direction de Riss, désormais propriétaire du journal, avec sa ligne résolument anti-musulmane, mais aussi anti-palestinienne après les massacres de Gaza.

Charlie Hebdo, vecteur du discours raciste

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et la répression massive qui s’ensuivit, Charlie Hebdo a choisi une ligne éditoriale résolument pro-israélienne et anti-palestinienne. L’une de ses principale cible est la députée européenne et militante Rima Hassan dont l’hebdo caricature l’engagement tout en minimisant l’ampleur des massacres de la population de Gaza orchestrée par Tsahal, prenant comme unique références les déclarations de Netanyahu et les analyses du CRIF.

Dans le même temps, le journal se fait l’écho des sondages biaisés ,en prenant pour cible systématique les français d’origine musulmane. En 2023, l’hebdomadaire accuse à tort une école musulmane de Valence d’être liée aux frères musulmans.

Le dernier épisode de cette dérive est la récente Une qui représente Rokhaya Diallo, militante des droits de l’homme, sous des traits caractéristiques de l’image colonialiste du noir : nue, avec d’énormes lèvres, un gros nez épaté, et seulement vêtue d’une jupe de bananes, devant un parterre de blancs rigolards. Accusé – à juste titre – de racisme éhonté, le dessinateur a prétendu qu’il faisait référence à une femme respectée : Josephine Baker, et sa fameuse affiche de la « Revue nègre » en 1925.

Et voilà comment on se moque du monde. Josephine Baker fut effectivement une grande dame, héroïne de guerre, défenseuse des droits des noirs et des minorités, et savait parfaitement ce qu’elle faisait. Sa tenue renvoyait à ses admirateurs leur propre image de petits coloniaux prétentieux et grotesques. Elle fit ainsi des bananes (dont le symbole raciste par excellence fut utilisé par le journal satyrique d’extrême droite Minute, dont Charlie Hebdo devint le successeur, pour insulter Christine Taubira), la représentation grotesque des sexes de ces hommes blancs que ses hanches auxquelles elles étaient accrochées, rendaient fous de désir. Ces hommes qui affichaient d’ordinaire leur mépris à l’égard des populations qu’ils appelaient « indigènes ».

Mais que reproche Charlie Hebdo à Rokhaya Diallo ? D’avoir, dans une interview sur France Culture, expliqué que le dévoiement de la loi 1905 sur la laïcité a institutionnalisé le harcèlement de jeunes filles en permettent de considérer qu’un vêtement « puisse devenir un signe religieux par destination ». Elle s’inquiétait simplement des discriminations dont les musulmans de France sont actuellement les victimes sous couvert de la « laïcité à la française ». C’est là que, finalement, la « nouvelle laïcité » se révèle, comme la « civilisation judéo-chrétienne » dont parle Sophie Bessis, un concept destiné à tenter de mettre à l’écart les personnes dites racisées, en particulier les musulmans.

En reprenant les codes colonialistes français, ceux des expositions coloniales, des zoos humains, Charlie Hebdo se révèle simplement tel qu’il est : le vecteur d’un discours ignoble, raciste et xénophobe, en ligne avec les grands medias français dont les propriétaires milliardaires ont voulu faire les têtes de pont de leur idéologie suprémaciste blanche.

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