Le Collège de France annule un colloque sur la Palestine qui devait se tenir les 13 et 14 novembre, sur la demande du ministre l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste,.
Cette annulation fait en réalité suite à une pression d’organisations et de personnalités soutiens de Benyamin Netanyahu. Yonathan Arfi, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France.) a déclaré : « Cette annulation est un soulagement. Rien n’allait dans ce colloque. Ni l’approche partiale et militante, ni les intervenants contestables, ni la date indécente du 13 novembre. » La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ), quant à elle, a estimé qu’il s’agissait d’une « foire antisioniste », et évoqué le « dévoiement d’une institution prestigieuse ».
Pourtant, le colloque, intitulé « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », et coorganisé par l’historien Henry Laurens et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep Paris), a été conçu, comme le souligne le journaliste Georges Malbrunot sur le réseau X, « dans le strict respect des procédures scientifiques en vigueur. Les intervenantes et intervenants proviennent d’universités aussi prestigieuses que l’École polytechnique fédérale de Lausanne, l’Université d’Amsterdam, l’INALCO, la SOAS (University of London), l’Université libre de Bruxelles, l’Université de Turin, l’Université Complutense de Madrid, Randolph-Macon College, Rice University, l’Université Roma Tre, l’EHESS, le CNRS ou encore la Queen Mary University of London ». « La réputation de ces chercheurs et chercheuses, internationalement reconnus, est ainsi injustement mise en cause par une presse partisane relayant les propos calomnieux de la LICRA. » a-t-il ajouté.
L’administrateur du Collège de France a présenté sa décision comme une réponse «en réaction à la polémique entourant la tenue », ajoutant « L’administrateur du Collège de France se voit dans l’obligation en tant que chef d’établissement, responsable de la sécurité des biens et des personnes ainsi que de la sérénité des événements tenus dans l’enceinte du Collège de France, d’annuler la manifestation ». Le Collège de France « ne prône, ni n’encourage, ni ne soutient aucune forme de militantisme », a affirmé l’établissement qui assure de sa « stricte neutralité (…) au regard des questions de nature politique ou idéologique ».
Le ministre de l’enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a qualifié sur X cette annulation de « responsable ». « Défendre la liberté académique, c’est défendre un débat libre, respectueux et pluriel. C’est le message que j’ai porté auprès de l’administrateur du Collège de France au cours des derniers jours », a-t-il affirmé.
Le ministère de l’enseignement supérieur et le Collège de France se couchent devant les injonctions des pro-Netanyahu
Voilà un exemple supplémentaire de l’assujettissement des institutions françaises au lobbies pro-Netanyahu, qui multiplient les réunions de propagande, comme le groupe d’influence ELNET qui a organisé le 10 novembre, une opération de communication financée à hauteur de 72 000 euros par le gouvernement israélien, sans que cela ne perturbe le moins du monde les autorités françaises. Ils cherchent également à museler les experts dénonçant le génocide commis par les troupes israéliennes à Gaza. L’annulation du colloque en est le plus récent avatar.
La Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris ont répondu, dans un communiqué conjoint : « Nous avons le regret d’annoncer que l’administrateur du Collège de France a décidé d’annuler la tenue du colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines » – prévu les 13 et 14 novembre – pourtant programmé depuis plusieurs mois par la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP Paris) » .
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, s’est littéralement couché devant les puissants groupes de pression pro-israéliens, qui ont également fait publier un article mensonger dans Le Point du 7 novembre, honteusement titré « un colloque pro-palestinien à haut risque », faillissant ostensiblement à sa mission première : protéger la liberté académique.
Les axes du colloque ont pourtant scrupuleusement respecté la diversité des approches ainsi que l’esprit académique.
Les deux premières sessions, consacrées à l’histoire du mouvement sioniste et à la Palestine sous mandat britannique, réunissaient notamment Rina Cohen-Muller, rattachée au département d’études hébraïques de l’INALCO, et Élisabeth Davin-Mortier de l’Université de la Sorbonne également hébraïsante. Entre les deux, l’universitaire Lorenzo Kamel se proposait d’évaluer de manière critique les approches, nationaliste et colonialiste de ses collègues.
Ainsi que le souligne encore le communiqué des organisateurs, « Outre la pluralité des écoles, pleinement respectée, nous rappelons que le choix des intervenants a avant tout été guidé par des critères d’excellence. Accuser ces chercheurs d’antisémitisme ou de militantisme revient à disqualifier sans fondement leurs travaux, pourtant validés par leurs pairs et publiés dans les revues scientifiques les plus prestigieuses. Cette confusion entre évaluation savante et contrôle idéologique met directement en péril l’indépendance du savoir. Il est navrant de constater que la France fasse écho aux dérives trumpistes sur la liberté de l’expression du savoir, et que le ministre, comme l’administrateur du collège cèdent à la puissance de frappe des lobbies, et mettent ainsi en péril l’indépendance d’une institution fondée il y a plus de quatre siècles, qui a accueilli les plus grands noms de la pensée française, de Foucault à Bourdieu. Cette décision crée un précédent dangereux : il suffira désormais d’un article polémique ou d’un tweet ministériel pour censurer un colloque jugé « sensible ». Que le ministère reprenne, sans examen critique, les arguments d’un article de presse et d’une association comme la LICRA soulève une question de fond : depuis quand le pouvoir politique se substitue-t-il aux instances de la recherche pour décider de ce qui est « scientifique » ou non ? »
Cette véritable censure de la pensée compromet la crédibilité du Collège de France, et donne le signal d’un véritable naufrage de la liberté de pensée, dont la France fut jadis Il en va de la liberté académique, condition première de toute véritable démarche scientifique ».
Le naufrage de la pensée française
Ainsi que le rapporte Mediapart, le démographe François Héran, professeur honoraire au Collège de France, répond ironiquement, dans une lettre rendue publique, à Thomas Römer, administrateur de l’institution : « Il fallait du courage pour donner des leçons d’objectivité et d’intégrité scientifique à Henry Laurens, qui compte seulement à son actif quelques dizaines d’ouvrages sur la question d’Orient et les affaires de Palestine. Notre collègue, à l’évidence, ne maîtrise pas les enjeux du débat dans un domaine aussi brûlant. Il était bon de rappeler aussi qu’en la matière, les partis pris d’un hebdomadaire bien connu pour son traitement rigoureux des faits ont plus de légitimité qu’un professeur occupant sa chaire depuis vingt-deux ans. On se demande comment ce dernier a osé inviter à son colloque un ancien chef de la diplomatie de l’UE ou un ancien premier ministre, aux côtés d’intervenants capables d’exprimer un large éventail de savoirs et d’opinions, alors qu’il était si simple d’inviter uniquement des intervenants validés par la Licra. »
Sans doute messieurs Philippe Baptiste et Thomas Römer devraient-ils relire « La servitude volontaire » d’Etienne de La Boetie, si, du moins, ils savent encore lire…
Jean-Michel Brun
Musulmans en France L'actualité des musulmanes et musulmans en France