Il est des livres qu’il faut avoir lu pour être en mesure de décrypter les éléments de langage qui dissimulent, dans une sorte de catimini sémantique, des messages qui ont l’apparence de la vérité, mais qui sont en réalité des instruments de manipulation de l’esprit.

Tel est le cas de l’admirable ouvrage de Sophie Bessis. Un texte, court, percutant, qui le pouvoir de réveiller brutalement notre sens critique, comme après un long coma dans lequel nous auraient plongés les boulets rhétoriques lancés depuis les assomoirs de la propagande médiatisée.
Sophie Bessis est une historienne spécialiste des relations Nord-Sud et de la condition des femmes en Afrique et dans le monde arabe. Ancienne rédactrice en chef de Jeune Afrique, elle a également enseigné à l’Inalco et à Paris I avant d’être chercheuse à l’IRIS. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages, dont L’Occident et les autres (La Découverte, 2000), Histoire de la Tunisie de Carthage à nos jours (Tallandier, 2019) ou encore Je vous écris d’une autre rive, lettre à Hannah Arendt (Elyzad, 2021).
Sophie Bessis s’attaque ici à la notion, utilisée jusqu’à la nausée, de « civilisation judéo-chrétienne ».
Depuis quarante ans, le concept de « civilisation judéo-chrétienne » domine les discours politiques et médiatiques en Occident, présenté comme le socle culturel de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Mais que cache cette expression devenue une référence hégémonique ? Récupéré par des acteurs variés – Etats, mouvements politiques ou nationalismes – ce concept est utilisé de toutes parts pour réécrire l’histoire, servant en Europe à occulter deux millénaires de persécutions antisémites, à nier l’apport de l’Orient dans son passé et à exclure l’islam de ses références culturelles.
Le sionisme puis l’État d’Israël à partir de sa création ont eu besoin d’affirmer leur ancrage exclusif à l’Occident, se proclamant aujourd’hui comme le « bastion avancé de la civilisation judéo-chrétienne » face à « l’ennemi arabo-musulman », tandis que les nationalismes arabes ont vu dans cette expression un instrument commode pour nier la dimension juive de l’histoire de leurs propres pays.
Sophie Bessis dévoile comment ce binôme, loin d’être neutre, est utilisé partout pour rendre impossibles des convergences culturelles et politiques qui pourraient être autant de chemins vers la paix.
A placer d’urgence dans sa bibliothèque aux côtés des livres de ces « justes » que sont Shlomo Sand, Ilan Pappé, Jacob Cohen, ou Gérard Haddad. A lire et partager, surtout, évidemment.
LA CIVILISATION JUDÉO-CHRÉTIENNE. Anatomie d’une imposture – Sophie Bessis – Édition Les Liens qui Libèrent – 2025 – 90 pages – 10€
Jean-Michel Brun