PROCES DE FRANCOIS BURGAT : MOBILISONS-NOUS : LA FRANCE RÉINVENTE LES TRIBUNAUX DE L’INQUISITION


Le 24 avril 2025, François Burgat est convoqué au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence afin d’y être jugé pour « apologie du terrorisme ». Ce n’est pas seulement une absurdité, c’est une honte pour la France, qui se veut « patrie des droits de l’homme ».

François Burgat est l’un de nos plus éminents islamologues, directeur de recherche émérite au CNRS. Ce qui lui est reproché ? De partager la souffrance des Palestiniens victimes du premier génocide du XXIe siècle, de dénoncer les massacres commis par l’armée israélienne et d’avoir déclaré sur twitter : «J’ai infiniment, je dis bien infiniment plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l’Etat d’Israël»
Les procès politique et le délit d’opinion sont de retour en France.

Mais d’abord, qui l’accuse ? Une association intitulée Organisation juive européenne, qui multiplie les plaintes pour « apologie du terrorisme ». Fervent appui de Netanyahou, elle est un des relais les plus actifs de la propagande du premier ministre israélien. Elle soutient ouvertement la colonisation israélienne en Palestine. En 2019, elle était à l’origine d’une procédure judiciaire pour contester l’obligation de la mention « colonies israéliennes » sur les étiquettes de produits venant des territoires occupés illégalement. La justice européenne l’avait débouté. L’association reprend la propagande du régime israélien à l’encontre de l’UNRWA, et a qualifié d’« infâme » le vote de la France à l’ONU pour reconnaître la Palestine comme État membre à part entière de l’organisation. Des gens charmants.

L’OJE est à l’origine des plaintes contre Rima Hassan, contre l’humoriste Guillaume Meurice, qui a été classée sans suite, contre le syndicaliste Jean-Paul Delescaut, condamné à un an de prison avec sursis pour un tract appelant à la paix au Proche-Orient, contre la députée LFI
Mathilde Panot, convoquée par la police, ou la basketteuse Emilie Gomis, convoquée en février 2024 pour des faits « d’apologie du terrorisme » pour avoir diffusé une image dénonçant la colonisation de la Palestine par Israël. Sa présidente rencontrait il y a peu le président israélien Isaac Herzog qui considère qu’il « n’y a pas de civils palestiniens innocents » et justifie ainsi les massacres de Gaza.

C’est donc à l’initiative de l’OJE que François Burgat a une première fois été placé en garde à vue le 9 juillet 2024 pour « apologie du terrorisme » en vertu d’une loi votée en 2014, dont les contours suffisamment flous permet de poursuivre toute opinion sur le conflit du Moyen-Orient qui ne serait pas conforme à la doxa gouvernementale .
Dès le début de ses 7 heures de garde à vue, François Burgat a été interrogé sur la situation en Palestine et l’opération militaire israélienne en cours à Gaza.
« Que pensez-vous des attaques du 7 octobre ? Est-ce que vous considérez le Hamas comme un groupe terroriste ? » sont parmi les questions posées par l’officier de police. Cela rappelle étrangement les procès pour « révisionnisme » en URSS ou pour « menées contre-révolutionnaires » de la Chine Maoïste, ou bien encore les procès en Grèce durant la dictature des colonels.

Cette garde à vue, qui conduira au procès du 24 avril, était un pas supplémentaire dans la répression des soutiens à la Palestine, et de la complicité du gouvernement français dans les crimes de Gaza. Pourtant, jusqu’ici, François Burgat était régulièrement appelé comme expert sur les questions portant sur le « terrorisme » par des institutions comme l’Assemblée nationale, le Sénat, le commandement militaire de l’OTAN ou encore la Cour d’assises antiterroriste à Paris. D’expert à inculpé, une sacrée enjambée, réussie avec dextérité grâce l’aide précieuse de nos ministres successifs de l’intérieur et de la justice.
Non, on en France, on ne peut pas penser librement. Nous avons été enfermé dans un péri-mètre idéologique dicté par des postulats qu’on ne peut conteste sous peine de devenir des parias de la société. « Le Hamas est un mouvement terroriste », « Israël a le droit de se défendre » sont les deux principes qu’il faut préalablement admettre avant toute discussion, de même qu’il fallait jadis jurer de « renoncer à Satan, ses oeuvres et ses pompes », sous peine d’être jeté aux gémonies de l’hérésie.

Pourtant, ce que dit François Burgat n’est que l’expression de la stricte vérité. Alors qu’Israël a repris les bombardements dans la bande de Gaza, rompant ainsi le cessez-le-feu en vigueur, le nombre de victimes dans l’enclave palestinienne s’est alourdi, atteignant 50 000 personnes tuées et 113 274 blessées depuis le 7 octobre 2023, selon le ministère palestinien de la Santé à Gaza. Un chiffre probablement sous-estimé, selon plusieurs études. Une réalité heureusement largement diffusée par ceux qui refusent la propagande de Netanyahou.

Amnesty international indique dans son plus récent rapport, que « au cours des derniers mois, Israël a multiplié les raids meurtriers en Cisjordanie et les tensions ont grimpé en flèche. Récemment, les forces israéliennes ont procédé à un raid en se faisant passer pour des professionnels de santé. En 2023, au moins 507 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, dont au moins 100 enfants, ce qui en fait l’année la plus meurtrière depuis que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a commencé à recenser les victimes en 2005»

« Ce n’est pas une guerre. C’est un génocide déguisé en guerre… Les Palestiniens, quel que soit leur âge, leur profession ou leur religion, sont exterminés à l’aide d’armes de destruction du XXIe siècle… Appeler cela une « guerre » ne fait que normaliser la situation. » a réagi la rapporteuse spéciale des Nations Unies, Francesca Albanese

Une indignation partagée par l’Union des juifs français pour la paix (UJFP), qui a publié le communiqué suivant : « Un génocide est en cours à Gaza. La famine et l’absence de soins y sont organisés. L’occupant israélien y tue sans retenue femmes, enfants, vieillards, malades, personnels de l’UNRWA, familles entières, journalistes et même humanitaires étrangers venus apporter de la nourriture… Dans le même temps, en Cisjordanie, assassinats, expulsions et vols de terres se poursuivent.
C’est dans ce moment crépusculaire que le gouvernement français, bien aidé par les médias dominants, utilise cette guerre pour imposer, par la répression, un seul discours : celui des génocidaires et de leurs complices.
Les tentatives de museler la liberté d’expression en utilisant l’antisémitisme n’ayant pas abouti devant les tribunaux, c’est l’« apologie du terrorisme » que Darmanin, ses flics et ses préfets ont trouvé comme nouveau motif d’accusation. Pendant que les dossiers s’empilent sur les bureaux des procureurs, le massacre du peuple palestinien se poursuit inexorablement. Ni les décisions de la Cour Internationale de justice, ni les appels au « cessez-le-feu » de l’ONU et de nombreuses chancelleries ne sont entendus par le « cabinet de guerre » d’Israël. […] En tant que juifs et juives, nous sommes horrifié·es par les violations du droit international que l’Etat d’Israël mène à Gaza en toute impunité et nous refusons que ce massacre ait lieu en notre nom. »


Rony Brauman, ancien président de Médecins Sans Frontières, décrit ainsi, dans une interview au magazine Jeune Afrique, la situation à Gaza : « Elle se dégrade un peu plus chaque jour, au rythme des déplacements forcés des populations, des bombardements généralisés des zones habitées, de l’anéantissement de cette société palestinienne de Gaza. On a beaucoup parlé de la destruction totale du système sanitaire, à juste titre, car il est essentiel, surtout dans une telle situation ; mais on n’a pas assez souligné que c’est tout ce qui fait une société qui est pilonné : cimetières, universités, écoles, archives, état civil… habitations, bien sûr. Une politique de terreur et d’anéantissement chaque jour plus profonds et étendus, Benyamin Netanyahou promettant maintenant un sort similaire aux Libanais s’ils ne livrent pas les gens du Hezbollah.
Pendant ce temps, des pogroms anti-Arabes sont encore à l’oeuvre, sous la protection de l’armée israélienne, en Cisjordanie, où des bandes de colons fascisants, de voyous, s’en prennent à des paysans, à des résidents palestiniens pour les terroriser, les chasser, détruire leurs terres et leurs cultures. Israël se conduit comme un État voyou d’une brutalité effroyable et, circonstance aggravante, il fait tout cela avec l’approbation, voire le soutien actif, des « démocraties » occidentales, qui professent un attachement essentiel au droit humanitaire et au droit international, mais qui, en invoquant méthodiquement et inlassablement le droit d’Israël à se défendre, cautionnent ces destructions. Quand elles ne les soutiennent pas, comme les États-Unis et l’Allemagne, par l’énormité des livraisons d’armes qui se poursuivent. […] L’aide humanitaire est systématiquement obstruée, les assassinats individuels et collectifs se poursuivent, la destruction généralisée de tout ce qui permet la vie, jusqu’à la pollution des terres agricoles, qui sont, semble-t-il, attaquées avec des produits chimiques pour les stériliser, nous assistons à la destruction des moyens d’existence. Donc oui, je pense que nous sommes, en effet, aujourd’hui, face à une situation génocidaire. Pour certains, c’est inconcevable qu’un pays né des cendres d’un génocide puisse à son tour commettre un génocide.
Et moi-même, qui suis originaire de là-bas, je trouve cela absolument étourdissant et accablant, mais d’abord révoltant, car ce sont des faits qui se déroulent sous nos yeux, et dire que c’est impossible n’y change rien. Quant aux intentions israéliennes, il suffit d’écouter ce que disent nombre de dirigeants israéliens au sommet, le président de la République, les ministres de la Défense, des Finances, de la Sécurité, nombre des députés, qui vouent aux gémonies l’ensemble de la population palestinienne, dénoncée globalement comme terroriste, antisémite et tueuse de juifs, ce qui autoriserait à l’État hébreu toutes les ripostes en guise de défense. »


Ilan Pappé, professeur d’université et historien israélien, auteur du livre « Le nettoyage ethnique de la Palestine», rappelle que « Entre 1947 et 1949, plus de 400 villages palestiniens ont été délibérément détruits, près d’un million de Palestiniens ont été chassés de leurs terres par les forces israéliennes sous la menace des armes, des civils ont été massacrés. C’est ce que les Palestiniens nomment la Nakba, la grande catastrophe; Aujourd’hui, tout comme la délégation sud-africaine qui a saisi la Cour internationale de justice, je pense que nous assistons depuis le 7 octobre 2023 à un génocide, tant du point de vue juridique qu’académique. »

Jacob Cohen, auteur de « Le printemps des sayanim » conteste quant à lui, l’utilisation du mot « terroriste » pour qualifier le Hamas : « Les occupants allemands qualifiaient les résistants français de «terroristes». L’armée coloniale française traitait les Algériens de «terroristes». Les sionistes ont fait du «terrorisme» de 1945 à 1947 contre les Britanniques pour obtenir un plan de partage.
La qualification de «terroriste» est une question de rapports de force et de maîtrise médiatique. Comme l’Occident défend Israël, il reprend à son compte la terminologie sioniste, et ses médias suivent le mouvement. Il n’existe malheureusement pas une autorité internationale indépendante en mesure de qualifier des actes de guerre de manière juste et impartiale. Mais selon toute logique, l’action des groupes palestiniens du 7 octobre en terre sioniste relève de l’action de résistance légitime contre une occupation illégale. »


Même Jacques Attali, qu’on ne peut pas soupçonner d’antisémitisme, a qualifié Netanyahu de criminel « en assassinant des dizaines de milliers d’innocents à Gaza ». Il est, selon lui « l’un des pires ennemis pour la survie d’Israël » et « Il n’y a qu’une place pour lui : la prison »

Faudra-t-il également poursuivre tous ces gens, ces organisations, pour « apologie du terrorisme » ? ou Eric Cantonna, pour avoir déclaré : « Gaza ne meurt pas de faim. Gaza est affamée par Israël et les États-Unis » ?

« Où est « l’honneur de la France » ? S’interroge François Burgat : « Pendant que j’étais dans cette garde à vue où la Macronie m’a placé hier 7 heures pour me faire taire, Caroline_Fourest et Florence Bergeaud_Blackler [ Deux islamophobes notoires – NDLR ] ont appris qu’elles allaient recevoir la “Légion d’Honneur”. Le jour de 2018 où j’ai pour ma part (catégoriquement et sans hésiter un instant, et j’en suis très fier) décliné cette même décoration, je ne savais pas que, de Maurice Papon à Abdelfatah Sissi et tant d’autres troubles personnages, l’”honneur de la France” tomberait un jour si terriblement bas. »

Que la plainte contre François Burgat soit suivie d’une condamnation ou classée sans suite, il est inconcevable qu’une telle action judiciaires puisse être lancée. D’abord par principe, par respect de la liberté d’expression, et aussi parce que ce qu’il dit n’a rien de diffamatoire. Car l’État d’Israël ne s’est ps contenté d’essayer de vider Gaza de ses habitants pour réaliser son grand projet de Canal Ben Gourion et les folies immobilières auxquelles il est associé. Il essaie également de s’emparer de la Cisjordanie. Ainsi que le rapportent les enquêtes de l’ONU et d’Amnesty international, à la fin de l’année 2022, le nombre de points de contrôle militaires israéliens et de colonies en Cisjordanie atteignait les 483, avec une population de colons atteignant les 745 467 personnes. Une augmentation significative des constructions de colonies a été observée en 2023, les autorités israéliennes ayant approuvé des plans pour plus de 18 000 logements, incluant la ville de Jérusalem.
En 2022, les autorités israéliennes ont saisi plus de 10 520 hectares de terres palestiniennes en Cisjordanie. Ce chiffre est passé à 20 450 hectares en 2023.

Selon les données de la Commission pour les affaires des prisonniers et ex-prisonniers palestiniens (qui dépend de l’Autorité palestinienne) et le Club des prisonniers palestiniens (organisation indépendante, non gouvernementale), environ 1 million de personnes ont été détenues dans les prisons israéliennes depuis 1967. À la fin du mois d’avril dernier, le nombre de détenus palestiniens dans les prisons israéliennes atteignait 9 400 personnes, dont 3 600 détenus administratifs (sans procès, ni chef d’accusation).
Au mois de février, plus de 40 000 Palestiniens expulsés des camps de Jénine, Tulkarem et Nour Chams. Israël intensifie ses opérations militaires, officiellement pour « empêcher la résurgence du terrorisme ».
Le 21 janvier dernier, l’armée israélienne lançait l’opération « Mur de fer » en Cisjordanie, 48 heures seulement après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza. Dans le camp de Jénine, 20 000 habitants ont été chassés pour laisser la place aux soldats israéliens.

« Le garde des sceaux de la République française vient une nouvelle fois de céder aux caprices d’une vilaine petite officine de désinformation, l’Organisation Juive Européenne (OJE).Celle qui, parfaitement impunément, fait quotidiennement l’apologie de l’absolue barbarie israélienne, va donc être autorisée à me traîner en justice, (le24 avril) pour «Apologie du terrorisme » (sic). Douce France…dont la République marche désormais sur la tête. » Conclut François Burgat.

Comme l’exhorte l’UJFP, nous ne devons plus nous taire. Ecrivez, publiez, criez, hurlez. On ne peut plus laisser l’abitraire diriger la France.

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