L’intemporalité du discours scientifique dans le Coran

Par Abdelilah Benmesbah

Du moment que le Coran recèle les mystères scientifiques de bien des vérités que la science ne cesse de découvrir, et qu’il nous révèle le sens de chacune de ces vérités à son moment selon un absolu où les mots n’ont pas comme dans notre science la définition exactement référentielle, mais la marque d’un symbolisme qui, en abrogeant toute lecture historisante, ouvre la voie à une lecture de sens évolutif, la notion de temps qui détermine nos concepts scientifiques se montre comme étant sans valeur dans la lecture des certitudes scientifiques que nous révèle le discours coranique.   

Cela étant car du moment que nous lisons dans le Coran des versets qui évoquent, depuis la révélation, des vérités scientifiques que la science ne cesse de découvrir, comme celles des montagnes en piquets :

N’avons-nous pas fait de la terre un berceau et implanté les montagnes en piquets)

(LXXVIII, 7-8)

ou celles du volcanisme éruptif des fonds marins :

Et par la mer portée à ébullition

(LII, 6)

ou encore celles du spectacle infernal du fond de la terre :

Etes-vous à l’abri que Celui Qui est au ciel ne vous enfouisse en la terre. Et voilà qu’elle s’agite d’un tourbillonnement !

(XVI, 67)

allons-nous considérer ces versets comme étant destinés à la société mécquoise qui, à cette époque de la révélation, il y’a 15 siècles, était une tribu de bédouins qui ne savaient rien, ni sur la structure des montagnes, ni sur la nature des fonds marins, ni sur celle des entrailles de la terres, ou allons-nous les considérer comme des anticipations destinées à notre temps où la science commence à lever le voile sur leurs secrets ?

C’est là, la question que l’on doit se poser si l’on veut comprendre la spécificité du discours coranique. Celui-ci, en anticipant des vérités symboliques à portée scientifique, vise animer notre lecture par un émerveillement qui puisse être un stimulateur intemporel de la raison, éveillant constamment en nous l’esprit de réfléchir.

Le Coran est un message éternel. Il a défié dans un premier temps les grands maîtres linguistes de la littérature arabe de la Mecque par la limpidité de son style rhétorique, puis les poètes par son élocution à composition miraculeusement structurée. Il a en outre, informé sur des nouvelles inconnaissables que l’histoire a enregistrées des civilisations et nations disparues, ou aussi sur des événements qui ne s’étaient pas encore produits et qui allaient se produire tel qu’il les avait décrits, comme la conquête de la Mecque ou la défaite des romains devant les perses…etc. Sans citer sa promesse éternelle de garantir la conservation de son contenu contre toute distorsion :

Certes, c’est Nous (Allah) Qui avons fait descendre le Coran, et c’est Nous Qui en sommes Gardien)

(XV, 9)

une promesse qui ne cesse de se concrétiser dans le temps, vu l’état d’intégrité et d’intégralité de son texte qui, en aucun moment de l’histoire, n’a été sujet à une atteinte ou altération depuis 15 siècles.

Puis vint le temps des découvertes scientifiques, de la technologie et de la conquête de l’espace où la vérité coranique allait se montrer encore plus pertinente par la précision du langage scientifique de ses signes qui viennent les uns après les autres défier le monde de la recherche scientifique au fur et à mesure que ce dernier annonce ses nouveautés. Chose qui prouve que le Coran ne se cerne ni dans le temps ni dans l’espace, mais que ses signes restent des appels à une réflexion sans limites ouverte sur tout azimut. Une réflexion où la raison s’est toujours impliquée dans les deux lectures : le créé et le révélé, où l’exploration scientifique de l’univers et la guidance coranique à ses mystères constituent deux trajectoires d’un même parcours ; celui de la vérité. Or, puisque la résolution d’équations dans ce parcours doit monter en postulats et ne pas descendre, ces deux trajectoires ne peuvent finalement que converger, car tout ce qui monte converge.

De là, la science avec ses progrès ne peut que concourir à l’élargissement de la compréhension du Coran en faisant de chaque découverte scientifique une ouverture nouvelle sur l’une de ses notions qui restent illimitées, et le Coran par sa guidance si explicite et intemporelle, ne peut que nourrir l’intellect en donnant goût à ses sujets et contributions et nouveautés à leurs sens.

Comme ça, le chercheur se trouvera à un niveau d’investigation où la réflexion sur la réalité des règles de l’univers l’incite chaque fois à s’interroger sur leur raison d’être. Une raison dont l’investissement s’avère fort utile pour les générations futures, car ce que l’humanité attend d’un scientifique ce n’est pas uniquement des modèles conceptuels où l’on peut lire le monde sous ses aspects uniquement matériels, mais des perspectives motivées par des tendances qui puissent faire renaitre cet instinct primitif de la science où l’homme cherchait à trouver signe de la présence de Dieu en toute chose. Un instinct où la raison par son authenticité,  ne pouvait qu’illuminer la foi qui reste une raison sans frontières empêchant la science de s’enfermer sur elle-même et la religion de s’égarer dans des idéologies destructrices.

Pour cela le Coran tend à induire une recherche menée dans la voie de son intemporalité, une voie qui, en concordance totale avec son sens délivré et accessible à toute lecture, permet de réaliser que sa compréhension doit absolument chercher à accéder au sens voulu par Dieu et non pas à celui que l’homme cherche à formuler. Un sens éternel où l’on puisse lire des règles, des principes généraux valables en tout temps et en tout lieu. En d’autres termes, un sens qui, émanant de la révélation, illustre un message qui est une « loi » de caractère intemporel et universel.

Pour nous mettre sur cette voie, le Coran ne cesse de multiplier les appels qui tirent l’alarme sur l’irrégularité des conduites humaines et des conséquences que celles-ci peuvent avoir sur le sort de l’humanité et sur celui de la terre. L’un des aspects de cet appel fort avertissant étant la mise en garde de l’homme devant sa responsabilité vis-à-vis de ces problèmes de détérioration de la terre :

La corruption est apparue sur la terre et dans la mer à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains, afin qu’(Allah) leur fasse goûter une partie de ce qu’ils ont œuvré, peut-être reviendront-ils (vers Allah) ?

(XXX, 41)

Ce verset dont la destinée nous a été ainsi ordonnée dès la révélation, évoque une problématique de tous les temps, mais qui, actuellement, semble devenir d’autant plus préoccupante que jamais. Elle est au fond du débat de toutes les réunions et de tous les congrès mondiaux, vu le bruit très alarmant qu’elle ne cesse de faire retentir à cause de ces dérèglements climatiques qui éveillent tant d’échos sur tous les plans scientifique, politique et économique.

En mettant en cause l’homme, en tant qu’acteur principal et caractère diagnostique, dans la politique de gestion défaillante qu’il mène sur terre, le discours coranique vise par ce verset amorcer une réflexion profonde et globale sur les malaises que l’homme, par preuve de force, ne cesse d’infliger à la terre. Tout cela pour l’inciter, à définir des styles de vie mais surtout de pensée qui puissent remettre son intellect dans une adéquation réelle avec le statut universel de la terre.

Certes, l’homme est responsable. Sa responsabilité découle d’un manque d’éthique aggravé par la mutation mentale qu’il a subie depuis l’avènement de l’âge industriel  qui l’a submergé dans cette accablante sensation de suffisance lui ayant donné force de bruler inconsciemment les combustibles fossiles, de détruire inlassablement les écosystèmes naturels et les richesses forestières, et d’instaurer avidement toutes sortes d’industries polluantes. Ainsi, le monde, par preuve de force, s’est livré depuis sa renaissance industrielle à ce jeu dangereux qui est devenu aujourd’hui une grande  menace pour l’humanité.

Malheureusement, dans l’état actuel des choses, rien ne parait rassurant du moment que la mentalité scientifique, par sa vocation matérialiste trop technique, participe non seulement à l’exclusion de ce caractère intemporel et universel des valeurs sacrées, mais à l’intégration de données particularisées dans ce qui est matériel à une analyse à portée hors de l’espace et du temps, comme celles qui interprètent par exemple le déluge de Noé par un simple phénomène d’eustatisme, ou encore celles qui rendent les malédictions des pharaons à des circonstances naturelles. Son but étant de barrer le chemin contre toute émergence qui cherche à donner sens à la science, sous prétexte d’incompatibilité. Chose qui contribue efficacement à la ridiculisation du sacré et par là de l’éthique, et  les expose comme cibles répétées d’attaques de tout feu.

Et c’est là le fond du problème. La science pourvoyeuse de « faits », par sa mission exploratrice, à la recherche de la vérité, doit nous libérer au lieu de nous soumettre. Donc au lieu d’instrumentaliser la raison dans les voies de la ridiculisation de la foi, la science doit chercher à se réconcilier avec celle-ci, en promouvant le rôle émancipateur de la raison. Une raison que, si elle est laissée à sa neutralité, révélera la véracité de la lettre sacrée et blâmera la vision matérialiste et son indifférence à la morale.

Donc dire que l’examen des énoncés scientifiques étiquetés à la tête de nombreux versets coraniques conclut à l’authenticité intemporelle de ces derniers et à leur primauté scientifique, revient à dire que leurs indications défient nos explications. Et parler d’un même Acteur Qui a au même titre révélé ces énoncés et créé leurs vérités, implique simplement et d’une façon logique que l’univers et le Coran soient deux vérités qui résultent d’un seul ordre ; celui de Dieu, Créateur et Révélateur, donc que le discours coranique sur le monde soit conforme à ce que le monde est.

Pour cela Dieu a insufflé en l’homme de Son Esprit la science afin qu’il puisse, par expérience de transcendance, se réintégrer à l’unité suprême de l’univers. Une réintégration qui doit non seulement lui apprendre une manière de vivre, mais une manière de penser, qui puisse le remettre à sa juste place d’être habité par Dieu, luttant contre toute illusion pouvant l’égarer dans le chaos moral qui n’a pour issue que de l’immerger dans un monde d’agrégats égoïstes sans sens ni fin.

Sous cet angle, doit s’élaborer actuellement la réflexion sur la science, ses méthodes et ses tendances. Une réflexion qui doit se situer au niveau de la mise en question des fondements de la science, car les concepts scientifiques qu’envisagent nos recherches et nos laboratoires ne sont en réalité qu’une tension à la vérité et non pas la vérité elle-même. Et considérer ces concepts comme des vérités, immerge la science dans la technicité et lui fait oublier son rôle explorateur à la recherche de la vérité.

Ainsi, et du moment que les faits enregistrés jusqu’à nos jours ont montré que toute suffisance n’a en aucun moment été engagée dans la réalité de l’histoire mais condamnée par elle à une décadence dérisoire, cette notion d’intemporalité qui imprime le discours coranique doit nous faire sentir notre insuffisance et éveiller en nous cet enthousiasme scientifique tant écarté des signes par lesquels Dieu nous désigne son dessein. Un enthousiasme basé sur la conviction que le monde a un sens qui demande pour être délibéré une raison éclairée par la transcendance. Cela étant, car de la même façon que la raison à elle seule, par l’argumentation par causes, ne peut découvrir ce sens dont la cause première reste introuvable, la révélation à elle seule, inspirée d’une lecture littérale historisante, ne peut permettre de comprendre les mécanismes et la signification des faits circonstanciels de ce sens qui demandent un contexte global de raisonnement scientifique conforme aux lois universelles.  

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Le Pr. Abdelilah Benmesbah enseigne à la Faculté des Sciences de l’Université Ibn Tofail de Kenitra, au Maroc, au Laboratoire Géorisques du Département de Géologie. Il est l’auteur du livre « La Terre…un objet de science qui parle transcendance » paru aux Editions universitaires europeennes en 2019

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