LE « VIVRE ENSEMBLE »

Manifestation pour la tolérance - Paris 2019

Voici 15 ans que cette notion de vivre ensemble « occupe le terrain », dans tous les sens du terme, de la vie politique. 

Ce qui devrait, a priori, être une simple question de bon sens, a largement été utilisée, instrumentalisée, détournée, pour servir, plus ou moins explicitement, des approches à caractère identitaire. On pense naturellement à Nicolas Sarkozy et ses conseillers Patrick Buisson et Henri Guaino, à Manuel Valls, Marine Le Pen ou Jean-Luc Melanchon, ou encore des personnalités médiatiques, comme Eric Zemmour ou Alain Finkelkraut.

De quoi s’agit-il en fait ?

L’homme est à la fois un individu et un être social. Cette double identité constitue en fait le fondement du progrès. Les talents individuels génèrent des idées nouvelles et des savoirs faire qui profitent à tous. La collectivité, par la conjugaison des compétences et de l’énergie de chacun, permet de les mettre en oeuvre. De même, la collectivité exprime des besoins qui incitent les individus à engager à leur tour une démarche de progrès, et ainsi de suite. 

Les individus sont, heureusement, tous différents, et la société s’enrichit de ces différences.

Toutefois, ces deux faces d’une même personnalité peuvent s’avérer antagonistes. Il arrive que les ambitions personnelles viennent à l’encontre des intérêts du groupe, et inversement, elles peuvent être freinées par l’obligation de se conformer aux règles de la communauté.

Dans ces conditions, quel est le rôle de l’Etat ? Doit-il assurer une vie harmonieuse et paisible à l’intérieur de la collectivité, malgré ce qui sépare les individus, ou doit-elle garantir à chacun la liberté d’être, de penser, et d’agir comme il le souhaite au sein de l’ensemble social, ou bien les deux à la fois. Doit-on alors prioriser un de ces rôles par rapport à l’autre ?

Prenons par exemple la notion d’identité nationale, telle qu’elle a été posée par les personnes citées plus haut. Elle vise clairement nos compatriotes musulmans, et leur place au sein de la nation française.

Le fait d’être visibles, à travers ses pratiques religieuses, sa tenue vestimentaire, ses habitudes alimentaires, constitue-t-il un danger pour le « vivre ensemble » ?

Doit-on les inviter à l’intégration, l’assimilation, ou au contraire leur garantir la liberté d’être ce qu’ils sont, dans le cadre de la République s’entend ? A condition de savoir ce que l’on entend par ce terme, et celui de « valeurs républicaines ».

Ainsi se pose notamment la question de la laïcite.

La laïcité en questions

Doit-elle se manifester par la neutralité de l’Etat par rapport aux pratiques religieuses, et inversement (dans le sens prévu par la loi de 1905) ? Ou bien au contraire par la construction d’une sorte de socle commun à tous les Français auquel chacun devrait se conformer ?

Voir aussi notre article : « La laïcité, qu’est-ce que c’est ? »

D’abord, la République est-elle aussi laïque qu’elle l’affirme ? Bien sûr, certains responsables ont, au nom de la laïcité,  souhaité interdire les crèches dans les mairies et le foulard dans les crèches. Le « burkini » a été banni de certaines plages. 

Mais la religion catholique n’est-elle pas omniprésente? Dans le choix de nos fêtes, notamment, dans  nos dimanches ? Pourquoi ne pas calquer nos congés sur les fêtes des autres religions, ou choisir des dates d’inspiration exclusivement laïques. Pourquoi le dimanche, et pas un autre jour (cette question soulevant d’ailleurs celle de la flexibilité du jour de repos) ?

La notion de trouble à l’ordre public

La question fondamentale est : Pourquoi chercher à interdire certaines pratiques, comme le burkini, qui, a priori, ne devrait gêner personne ?Ailleurs, comme au Canada, par exemple, cette tenue ne pose aucun problème. 

Le critère retenu par les autorités est celui du « trouble à l’ordre public ». Mais comment définir cette expression ? Les municipalités qui ont cherché à interdire le burkini, l’ont fait « parce qu’il risquait de provoquer des réactions violentes de la part d’autres personnes, et, par conséquent, entraîner un trouble. »

Cette sorte de délit à trois bandes laisse une part trop libre à l’interprétation. Les prières dans la rue, autre exemple, à propos desquelles ce critère est souvent évoqué, ne sont que la conséquence du manque de lieux de cultes musulmans ou de leur exiguïté. La solution n’est pas alors dans l’interdiction, mais dans la création des conditions pour que cela n’arrive pas.

On remarquera également, que la notion de trouble à l’ordre public évolue avec l’évolution des mœurs. L’homosexualité affichée en public était, il n’y a pas si longtemps, considérée comme un trouble grave à l’ordre public, et elle l’est encore dans certains pays. Ne faut-il pas plutôt se référer à des valeurs universelles et immuables, plutôt qu’à des « valeurs » qui dérivent au fil de l’eau ?

Le communautarisme

« L’acceptation des différences dans l’espace public conduit au communautarisme ». Voilà précisément le discours tenu historiquement par les penseurs de droite.

Prise à la lettre par Angela Merkel, cette idée a conduit celle-ci, a contrario,  à accepter des pratiques fondamentalement communautaristes, avec l’idée de laisser à chaque communauté le soin de régler, par ses propres règles, une partie de la gestion de ses affaires. C’est ainsi qu’elle a autorisé les tribunaux islamiques.  Une politique qu’Angela Merkel a reconnu elle-même comme un échec. Le communautarisme, dans le sens d’une volonté de former un groupe exogène qui n’accepterait que ses lois  est effectivement incompatible avec la République. Toutefois, le fait d’apprécier de se rassembler entre personnes qui partagent la même culture n’est pas incompatible avec une bonne intégration.

Intégration ou assimilation ? Si l’intégration consiste à se fondre parfaitement dans un nouvel environnement, l’assimilation suppose de gommer ses différences Et sa personnalité pour se rendre semblables Aux autres.

Cette assimilation a été , semble-t-il, choisie par les immigrés maghrébins de la première génération. Mais n’a-t-elle pas été forcée ? Etre invisible pour exister, pour vivre tranquille. 

La transgression de l’invisibilité leur a coûté cher. Le souvenir du 17 octobre 1961 (http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/17/17-octobre-1961-ce-massacre-a-ete-occulte-de-la-memoire-collective_1586418_3224.html) est encore présent dans les mémoires des immigrés de la première génération, bien que l’événement ait été, lui aussi, rendu invisible par le gouvernement de l’époque.

Par ailleurs, l’invisibilité, avec cette idée que, notamment,« la religion appartient au cercle privé », selon la terminologie favorite d’Eric Zemmour, est une demande récurrente de la part des identitaires. Elle a été formulée contre les juifs dans les années 20, où la discrétion leur était imposée. Avec les suites que l’on connait.

Le terme de communautarisme est lui-même d’un usage ambigu. Selon Yohann Roszewitch, ex-président de SOS homophobie: « Les accusations de communautarisme sont fréquentes de la part des opposants à l’égalité des droits. »

Enfin, le refus de la communauté d’accepter que les différences s’affichent en son sein, sont, au contraire, de nature à exacerber les frustrations, le sentiment de rejet, et par conséquent, le repli sur soi-même et les pratiques communautaires. On rappelle que les musulmans qui souhaitent, aujourd’hui, vivre leur identité au grand jour, sont français, au même titre que leurs compatriotes.

N’y a-t-il donc pas, lorsqu’il s’agit de vivre ensemble, d’autre hypothèse que la dissolution de la différence dans une identité commune d’un côté, et le communautarisme de l’autre ?

« La République, ce lieu magique… »

Si bien sûr. Dans d’autres pays, les identités différentes se côtoient et se complètent sans heurt. « L’unité dans la diversité », selon les termes de Mohammad Al-Issa, Secrétaire Général de la Ligue Islamique Mondiale.

Le problème vient sans doute, en France, d’une approche très spécifique de la « laïcité à la française », issue de son histoire. Celle-ci s’est construite contre le pouvoir de l’Eglise catholique, et reste fondamentalement anti-cléricale. D’ailleurs, l’opposition n’est pas tant entre catholiques et musulmans, par exemple, qu’entre croyants et partisans d’un athéisme militant. 

Catholiques, juifs, musulmans, bouddhistes, agnostiques peuvent ils vivre ensemble, sans rien renier de ce qu’ils sont ? Il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi.

A cet égard, la position d’Emmanuel Macron, telle qu’il l’exposait au début de sa campagne dans son livre « Révolution » était claire : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion. C’est pour cela que je dénonce les considérations qui demandent à des citoyens d’être «discrets», parce que les précédents historiques où l’on a demandé la discrétion en matière de religion ne sont pas à l’honneur de la République. Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! » 

Photo © Jean-Michel Brun

Cette approche a semble-t-il évolué vers une approche moins bienveillante envers les minorités,  sans doute sous l’influence des tenants d’une laïcité pure et dure.

En réalité, on craint ce que l’on ignore.
Il incombe donc à l’Etat de contribuer à faire en sorte que chacun connaisse mieux les réalités de l’autre Le discours de certains leaders d’opinion fait d’ailleurs émerger un certain nombre d’a priori et d’approximations, notamment sur l’Islam, démontrant, de façon tout à fait interessante, l’utilité d’une meilleure communication.

Un enseignement des différentes religions, dès l’école, serait certainement utile. Il est à cet égard regrettable que les cours d’instruction civique, déjà rares, passent trop souvent à la trappe. Certaines écoles privées catholiques pratiquent déjà la « pastorale » , où sont enseignées les differentes religions.

De même il est essentiel que chacun, quelle que soit sa foi, ou son absence de foi, respecte la loi républicaine, et en particulier la laïcité, au sens de la loi de 1905. La République ne peut accepter, par exemple, que, pendant le Ramadan, des musulmans molestent d’autres musulmans ou musulmanes au prétexte qu’il ne respectent pas le jeûne. Pas plus qu’elle le peut admettre les propos ou gestes islamophobes ou le racisme anti-asiatique qui connaissent actuellement un accroissement inquiétant.

En revanche, il ne devrait pas être du ressort de l’Etat ou des collectivités d’interdire telle tenue vestimentaire ou d’empêcher telle restriction alimentaire, des l’instant, bien sûr, où la sécurité n’est  pas mise en danger.

« Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse. » (E. Macron, ITW à Marianne, 01/10/2016)

Il est par ailleurs de la responsabilité de la République de faire respecter la liberté de chacun.

La « Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix »

Journée Internationale du Vivre Ensemble en PaixC’est dans cette perspective que se situe la « Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix ».

Sur une proposition initiée par des personnalités de sensibilités intellectuelles ou religieuses variées, comme Dominique Reynié, sociologue, Directeur de Fondapol (Fondation pour l’innovation politique), Mme Angela Melo, de l’UNESCO, le Cheikh Khaled Bentounes, Président d’honneur d’AISA ONG Internationale, et chef spirituel de la confrérie soufie Alawiya, le Père Christian Delorme de l’archidiocèse de Lyon, l’Assemblée Générale des Nations Unies a voté, en septembre 2017 à New York, une résolution aux termes de laquelle la journée du 16 mai sera désormais la « Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix ».

Par Jean-Michel Brun

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