L’ART DE LA RAISON DANS LE CORAN par Abdelilah Benmesbah

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Dans son débat avec Nemrod (le roi assyrien de l’époque), Abraham –  comme nous le relate le Coran – devant les prétentions de ce dernier à pouvoir donner la vie et la mort, n’avait pas tardé à l’envoyer aux certitudes cosmiques où la force de la raison ne pouvait que le mettre dans l’embarras :


N’as-tu pas vu (l’histoire de) celui qui, parce qu’Allah l’avait fait roi, argumenta contre Abraham au sujet de son Seigneur ? Abraham ayant dit : « Mon Seigneur est celui Qui donne la vie et la mort », « moi aussi (dit le roi), je donne la vie et la mort ». Alors dit Abraham : « puisqu’Allah fait venir le soleil du levant, fais-le venir du couchant ». Le mécréant s’est trouvé alors dans l’embarras. Et Allah ne guide pas les gens injustes. (II, 258).

De cet évènement nous réalisons pourquoi Dieu lorsqu’Il a voulu charger Abraham du message, l’a mis dans la voie de la certitude par une démarche de raison. Il lui a montré par la démarche de la réflexion et du raisonnement, la vérité des corps célestes que son peuple élevait au rang de dieux :

Ainsi avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux qui croient avec certitude. Quand la nuit l’enveloppa, il observa une planète et dit : « voilà mon Seigneur », puis lorsqu’elle disparut, il dit : « je n’aime pas ceux qui disparaissent ». Lorsqu’ensuite il observa la lune se levant, il dit : « voilà mon Seigneur », puis lorsqu’elle disparut, il dit : « si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes des gens égarés ». Lorsqu’ensuite il observa le soleil levant, il dit : « voilà mon Seigneur ! celui-ci est plus grand », puis lorsqu’il disparut, il dit : « Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah. Je tourne mon visage exclusivement vers Celui Qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre et je ne suis point de ceux qui lui font des associés ») (VI, 75-79).

D’après l’énoncé de ces versets, on voit bien comment Abraham, par sa conviction de l’unique divinité d’Allah, a su convaincre son peuple en les entraînant, par la voie des hypothèses et de l’expérimentation, aux résultats. Il a posé comme postulats la divinité de ces corps célestes, puis lorsqu’il les a soumis à la logique des lois physiques qui les régissent, a montré à son peuple, par la raison, que ces corps disparaissent et a conclu que ce qui disparait ne peut mériter le caractère de dieu. Ainsi réalise-t-on qu’Abraham, bien que sa démarche eût été empirique, basée sur l’observation et l’expérimentation, son principe émanait d’une conviction de foi profonde qui lui dicte que Dieu ne doit en aucun moment disparaitre. La preuve c’est qu’il a dit : « Je n’aime pas ceux qui disparaissent« .

Cette histoire nous montre comment cet univers que nous vivons avec nos sens et notre intelligence est un monde immense d’arguments où l’investissement dans la raison ne peut que mener à la vérité. Une vérité qui a pour issue de donner conviction et rassurer les cœurs à la manière dont Abraham, le prophète, a procédé dans son débat avec le roi et a proclamé dans son monologue :

Et quand Abraham dit : « Seigneur ! montres-moi comment Tu ressuscites les morts », Allah dit : « ne crois-tu pas encore ? » « Si, mais pour que mon cœur soit rassuré ». « Prends donc quatre oiseaux, apprivoises-les (et coupes-les) puis sur chacun des monts séparés mets-en un fragment, ensuite appelles-les : ils viendront à toi en toute hâte. Et saches qu’Allah est Puissant et Sage ») (II, 260).

Donc un savoir que Dieu ordonne à Abraham (sache qu’Allah est Puissant et Sage) et qu’Abraham, malgré sa certitude de l’aptitude de Dieu à ressusciter les morts, a demandé, mais par la question du « comment », pour se rassurer par la vision directe et se faire une idée qui puisse  lui servir de renfort et appui dans sa lutte contre les défis déraisonnables de son peuple à l’origine de leur coupure de Dieu.

Chose qui montre qu’Abraham par sa question du « comment » qui, actuellement, est à la base des sciences où l’investigation porte sur le champ du réel, ne cherchait pas à soulever un doute vis à vis de l’omnipotence de Dieu à recréer, mais cherchait à en visionner la manière, pour s’en faire des preuves qui puissent convaincre son peuple par la voie empirique. Pour cela Dieu lui a préparé un « laboratoire » en pleine nature et l’a efforcé à mener ces expériences sur les oiseaux. Des expériences qui allaient à travers les faits accomplis, lui fournir les preuves matérielles dont il a besoin dans la confrontation des perversions de son peuple.

Ainsi, dans ses débats prédicatifs, Abraham a toujours fait preuve de raison. Chose qui lui a permis de mettre son peuple en perplexe devant leur culte des idoles, comme nous le rapporte le Coran :

En effet Nous avons mis auparavant Abraham sur le droit chemin et Nous en avions bonne connaissance. Quand il a dit à son père et à son peuple : « que sont ces statues auxquelles vous vous attachez ? » Ils dirent : « nous avons trouvé nos ancêtres les adorant ». Il dit : « certainement vous avez été vous et vos ancêtres dans un égarement évident ». Ils dirent : « viens-tu à nous avec la vérité ou tu plaisantes ? ». Il dit : « mais votre Seigneur est plutôt le Seigneur des cieux et de la terre Qui les a créés et je suis un de ceux qui en témoignent ». Et par Allah ! je ruserai certes contre vos idoles une fois que vous serez partis ». Il les mit alors en pièces, hormis (la statue) la plus grande. Peut-être reviendraient-ils vers elles. Ils dirent : « qui a fait cela à nos divinités ? il est certes parmi les injustes !». (Certains) dirent : « nous avons entendu un jeune homme médire d’elles, appelé Abraham ». Ils dirent : « amenez-le sous les yeux des gens afin qu’ils puissent en témoigner ». « Est-ce toi qui a fait cela à nos divinités, Abraham ? ». Il dit : « c’est plutôt la plus grande d’entre elles qui l’a fait. Demander-leur donc, si elles peuvent parler ». Se ravisant alors, ils se dirent entre eux : « c’est vous qui êtes les vrais injustes ». Puis ils firent volte-face et dirent : « tu sais bien que celles-ci ne parlent pas ». Il dit : « adorez-vous donc, en dehors d’Allah, ce qui ne saurait en rien vous être utile ni vous nuire non plus. Fi de vous et de ce que vous adorez en dehors d’Allah. Ne raisonnez-vous donc pas ? ») (XXI, 51-67).

Chose qui prouve que la réflexion sur la vérité du monde vise une raison qui, de la conviction théologique, permet au chercheur de se doter de certitudes qui puissent le mettre loin de l’illusion de la multiplicité des choses qui peut l’emprisonner dans la pluralité des causes extérieures. Une réflexion qui doit éveiller en l’homme l’esprit d’une véritable recherche où il se voit entraîner dans un monde de raison sans limites qui l’appelle à s’efforcer sans relâche à son exercice.

De ces faits, nous réalisons que la science reste un domaine beaucoup plus vaste et d’une globalité plus immense que ce que laisse envisager la simple vision du monde scientifique contemporain. C’est plutôt une vision exhaustive, complète et en parfaite harmonie avec la vérité du monde. Cette vérité qui est la seule à pouvoir prêcher l’homme et le mettre à l’abri de ces conflits qu’on rapporte aux chocs des civilisations alors qu’ils sont en réalité le résultat des chocs des ignorances héritées des fléaux de l’arrogance.       

Voilà pourquoi le Coran nous présente la raison comme condition fondamentale nécessaire pour la compréhension : pour comprendre il faut raisonner. Ainsi lorsqu’il ramène notre regard sur les différentes formes idéales de ce monde :

Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout Miséricordieux. Ramène (sur elles) le regard. Y vois-tu une brèche quelconque ? Puis, retourne ton regard à deux fois : le regard te reviendra humilié et frustré) (LXVII, 3-4),

il nous invite à réfléchir en éveillant en nous l’esprit de raisonner. Donc nous met sur la voie de la raison, celle qui, d’une réflexion émanant de sa vision dynamique du monde nous donne accès à la compréhension en nous éclairant l’acte créateur de Dieu qui a pour vocation de nous élever du relatif à l’absolu et du réel-logique à l’imperceptible révélé.

Donc les différentes manifestations cosmiques que le Coran évoque par son style parabolique et que la science découvre par sa démarche empirique, portent la marque de stimulateurs de raison vue la parfaite compatibilité entre l’état d’intelligibilité des versets les ayant exposées et la nature fascinante de leurs mécanismes que la science ne cesse de dévoiler. De sorte que le lecteur, plus il est de niveau scientifique élevé plus il est attiré à sonder davantage dans leurs mystères. Des mystères que le Coran cache, chacun à son échéance, afin de présenter la science non comme une matière calée dans les pages de l’histoire, mais comme une nécessité éternelle, une obligation morale qui cherche à chaque instant la vérité qui mène à Dieu. Donc une quête dans la voie de Dieu, Qui, en révélant à l’homme les mystères de Sa création dans les cieux et la terre, l’appelle à unir l’exploration à l’invocation pour le mettre dans la voie de Son unification. Et c’est là le secret de l’art coranique qui, en nous ouvrant la voie de l’exploration cosmique vise mettre en valeur la promotion de la recherche scientifique : de la même façon que l’exploration n’atteint sa complétude que dans son contexte invocatoire, l’invocation n’atteint sa complétude que dans son contexte exploratoire.

Ainsi, la réflexion devient invocation et l’invocation devient réflexion, car le scientifique en s’efforçant à chercher dans les secrets de ce monde, se trouve dans l’engrenage d’un système où chaque chaînon le fait avancer d’une marche dans la connaissance du Créateur, et face à un ordre où chaque manifestation lui révèle la sagesse de Son acte ordonnateur.

De ce fait, si le Coran nous appelle à explorer l’univers : (Dis : « Regardez qu’est-ce qu’il y a dans les cieux et la terre ») (X, 101), ce n’est pas pour figer, par fascination, notre regard sur ses objets, mais pour les percer vers l’au-delà où les secrets de leur création révèlent l’omnipotence de leur Créateur. Donc un appel qui nous met dans le fond de ces objets, car il y’a une grande différence entre dire : « regardez cette chose » et dire : « regardez qu’est-ce qu’il y a dans cette chose ». Le premier n’appelle qu’à un regard superficiel qui reste très descriptif, car figé sur l’aspect extérieur de la chose, alors que le second appelle à un regard plus profond sollicitant une démarche exploratoire d’observation, d’interpellation et d’expérimentation qui, en perçant les secrets de l’objet tend à découvrir sa vérité profonde. Et c’est là que réside l’art de la raison dans le discours coranique qui, en visant ce qui est dans les cieux et la terre, entraîne le chercheur dans le fond du sujet, où l’immensité de l’exploration lui permet, à travers la création et par le biais de cette démarche qui est en fait une réflexion pour une compréhension, d’accéder à la vérité du Créateur.

Ainsi apparait le défi du message coranique qui, en annonçant : (Allah vous a créés et ce que vous faites) (XXXVII, 96), rend l’homme avec toutes ses connaissances, ses œuvres et ses capacités à sa source première d’inspiration, celle qui, au Nom de son Seigneur, lui a enseigné ce qu’il ne savait pas. Celle qui dès lors n’a cessé de lui apprendre que son être et sa pensée sont deux abstractions de la même réalité : l’action créatrice de Dieu.

C’est comme cela que le Coran nous guide dans la voie de la dignité, une guidance qui prouve sa force libératoire envers la raison et sa dynamique mobilisatrice envers la connaissance qui, dès l’aube des révélations, a toujours été motivée par l’esprit de recherche et d’exploration. Ainsi, lorsque le discours coranique insiste sur la lecture de la création : (Lis : Au nom de ton Seigneur Qui a créé) (XCVI, 1), c’est pour mettre l’homme sur une voie de recherche qui puisse, à partir de la réflexion sur la création, lui désigner l’acte créateur de Dieu Qui, à chaque moment de l’histoire, lui présente une vision nouvelle du monde, cohérente avec la rénovation de sa qualité intellectuelle et concordante avec l’évolution de sa compréhension scientifique.

Voilà pourquoi le discours coranique aborde le monde par cette double vision, complémentariste entre le créé et le révélé. Ce n’est que de l’interdépendance entre ces deux voies d’investigation que peut s’élaborer la vérité, car entre le créé et le révélé il y a un espace d’homogénéité où la complémentarité entre les deux, fait que la compréhension de l’un ne peut s’élaborer que de la bonne lecture de l’autre. Une lecture où les prescriptions coraniques viennent les unes après les autres dans des styles parfaitement élaborés pour mettre le lecteur par le biais de la recherche et de l’exploration sur la voie de la vérité. Le but étant de mobiliser ses facultés mentales et intellectuelles dans la voie d’une science qui puisse dresser sa raison selon la rectitude de l’univers dont il fait partie intégrante et non pas selon ses appétits et intérêts personnels qui peuvent le couper de son esprit.

C’est avec cette libération de la raison dans la voie de la conquête de l’esprit de l’univers que la science peut se réconcilier avec la conscience. Dans cette voie, l’authenticité de la raison pourrait promouvoir une science vivante capable d’accéder aux cœurs pour restituer cet instinct primitif de la science où le jaillissement d’esprit créateur cherchait à trouver signes de la présence de Dieu en toute chose.

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Le Pr. Abdelilah Benmesbah enseigne à la Faculté des Sciences de l’Université Ibn Tofail de Kenitra, au Maroc, au Laboratoire Géorisques du Département de Géologie. Il est l’auteur du livre « La Terre…un objet de science qui parle transcendance » paru aux Editions universitaires europeennes en 2019

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