ENCYCLIQUE « FRATELLI TUTTI » : UN PLAIDOYER POUR LA FRATERNITÉ

Photo by Ashwin Vaswani on Unsplash

« Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) ».
En lisant l’encyclique « Fratelli tutti », on ne peut s’empêcher de penser au titre du célèbre livre de Marshall Rosenberg, le théoricien de la communication non-violente. Car le texte du pape François ne nous parle que d’ouverture, d’écoute, de tolérance, de fraternité.

« La tentation de créer une culture de murs, d’élever des murs, des murs dans le cœur, des murs érigés sur la terre pour éviter cette rencontre avec d’autres cultures, avec d’autres personnes. Et quiconque élève un mur, quiconque construit un mur, finira par être un esclave dans les murs qu’il a construits, privé d’horizons. Il lui manque, en effet, l’altérité ».

Alors que chacun semble se recroqueviller sur lui-même, autour d’une vision étriquée, ratatinée, auto-centrée de ce qu’il croit être le monde, aveugle à la diversité des cultures et des idées, imperméable à l’infinie richesse des autres, lorsqu’une épidémie et un discours sécuritaire font de l’autre son ennemi, à l’heure enfin où on dresse des murs, symboliques ou réels, entre les peuples, ce texte luit comme une fenêtre d’espoir.

En ces temps de discriminations, de peurs insidieusement nourries à l’égard de ceux qui ne parlent pas, ne s’alimentent pas, ne prient pas, ne s’habillent pas comme nous, cet appel à l’unité, au dialogue, cette exhortation à voir ce qui nous rassemble au lieu de regarder ce qui nous sépare, sont les bienvenus. Comme l’est aussi cette évidence que rappelait récemment Mohammad Al-Issa, le secrétaire général de la Ligue Islamique Mondiale : « Nous ne formons qu’une seule humanité, et c’est ensemble que nous devons affronter les défis qui nous attendent ».

C’est naturellement à dessein que le Pape François a choisi, pour publier son encyclique, le jour de la fête de Saint François d’Assise, dauquel il a emprunté son nom de Pontife, et à qui ont doit cette expression « Fratelli tutti » qu’il utilisa dans l’un de ses textes, et par lequel il appelait à une « fraternité ouverte qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne.».


« Je livre cette encyclique sociale comme une modeste contribution à la réflexion pour que, face aux manières diverses et actuelles d’éliminer ou d’ignorer les autres, nous soyons capables de réagir par un nouveau rêve de fraternité et d’amitié sociale qui ne se cantonne pas aux mots », annonce le Pape François dans son introduction, avant de replacer sa lettre dans le contexte de la COVID-19 qui, hélas, a souvent fait ressurgir ce qu’il y avait de pire dans l’humanité : la peur de l’autre, la délation, le repli sur soi : « …la pandémie de la Covid-19 [qui] a mis à nu nos fausses certitudes […] l’incapacité d’agir ensemble a été dévoilée […] on a observé une fragmentation ayant rendu plus difficile la résolution des problèmes qui nous touchent tous. « 
Comme s’il avait anticipé une réponse aux discours stigmatisants récemment prononcés par les plus hautes autorités de l’Etat, le Pape prévient : « les croyants ont besoin de trouver des espaces où discuter et agir ensemble pour le bien commun et la promotion des plus pauvres. Il ne s’agit pas de vivre plus light ou de cacher les convictions qui nous animent afin de pouvoir rencontrer les autres qui pensent différemment. […] Parce que, plus une identité est profonde, solide et riche, plus elle tendra à enrichir les autres avec sa contribution spécifique ».
Toute cela, ajoute-t-il, « de manière à ce que certains aspects de nos doctrines, hors de leur contexte, ne finissent pas par alimenter des formes de mépris, de haine, de xénophobie, de négation de l’autre. La vérité, c’est que la violence ne trouve pas de fondement dans les convictions religieuses fondamentales, mais dans leurs déformations. »
Un cinglant rappel à l’ordre, à la fois à ceux qui instrumentalisent la religion à des fins politiques ou criminelles, et à ceux qui, pour faire diversion à leurs échecs économiques, sociaux, écologiques, humanitaires, instrumentalisent le terrorisme pour stigmatiser une partie de la nation, en leur demandant, a minima, de se rendre invisible, au nom de « valeurs républicaines » trahies et travesties.
« Le terrorisme détestable qui menace la sécurité des personnes, aussi bien en Orient qu’en Occident, au Nord ou au Sud, répandant panique, terreur ou pessimisme n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent – mais est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance »


On pouvait s’attendre à ce qu’un tel discours fasse sortir de leurs gonds ceux qui ont fait de l’islamophobie leur fond de commerce. Il n’a effectivement pas fallu attendre longtemps pour que le site anti-musulman Atlantico déverse son fiel, et que et le délirant magazine Causeur aille jusqu’à appeler le gouvernement à convoquer le Nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) !
N’allons pas chercher bien loin la raison de cette rage : le Pape François, au moment de la rédaction de sa lettre encyclique, s’était longuement entretenu avec Ahmad Al-Tayyeb, le Grand Imam de l’Université Al Azhar. De quoi provoquer une crise de zona à la rédactrice en chef du magazine qui offre sa dernière couverture à Robert Menard, le chantre des « aspects positifs de la colonisation ». Ouvrons donc la fenêtre, chassons l’air nauséabond de la littérature abjecte des messagers de la haine, et respirons l’air frais de ce magnifique plaidoyer à la fraternité :


Lors de cette rencontre fraternelle, dont je garde un heureux souvenir, le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons déclaré « fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes. […] En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens ». C’est pourquoi je veux reprendre ici l’appel à la paix, à la justice et à la fraternité que nous avons fait ensemble :


« Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix.
Au nom de l’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s’il avait tué toute l’humanité et que quiconque en sauve une est comme s’il avait sauvé l’humanité entière.
Au nom des pauvres, des personnes dans la misère, dans le besoin et des exclus que Dieu a commandé de secourir comme un devoir demandé à tous les hommes et, d’une manière particulière, à tout homme fortuné et aisé.
Au nom des orphelins, des veuves, des réfugiés et des exilés de leurs foyers et de leurs pays ; de toutes les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; des faibles, de ceux qui vivent dans la peur, des prisonniers de guerre et des torturés en toute partie du monde, sans aucune distinction.
Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres. 
Au nom de la ‘‘ fraternité humaine’’ qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes.
Au nom de la liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains, les créant libres et les distinguant par elle.
Au nom de la justice et de la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi.
Au nom de toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre.
Au nom de Dieu et de tout cela, [… nous déclarons] adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère ».


Terminons ce bref résumé de l’encyclique « Fratelli tutti » par la dernière invocation du Pape François :

« Je forme le vœu qu’en cette époque que nous traversons, en reconnaissant la dignité de chaque personne humaine, nous puissions tous ensemble faire renaître un désir universel d’humanité. Tous ensemble. […] Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères. »

Retrouvez l’intégralité du texte de l’encyclique « Fratelli tutti » sur le site de la Conférence des Evêques de France

Voir le texte complet de l’encyclique

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